Pourquoi Emmanuel Macron est-il un danger ?

Le candidat de « En marche » cultive l’ambiguïté sur bien des points. Mais il met aussi en avant des mesures totalement antisociales. Retraites, protection sociale, chômage : les propositions d’Emmanuel Macron, si elles sont mises en œuvre, seront difficilement réversibles. Analyse.

Macron dangereux ? Comment ce candidat jeune et qui présente si bien, ce candidat qui s’affiche au centre -un jour au centre-droit, un jour au centre-gauche, à moins que ce ne soit l’inverse- comment, donc, ce candidat plébiscité par les médias pourrait-il être dangereux ? Et pourtant. On connaît le programme de casse sociale de Fillon, brutal et sans fioritures, avec sa suppression des 35 heures, ses coupes sombres dans les effectifs de fonctionnaires, la dégressivité des allocations chômage et son détricotage de la Sécu, remaquillée en « réforme de la sécurité sociale ». Fillon, c’est le libéralisme version conservateurs et Oncle Picsou. Macron à côté, c’est Géo Trouvetou. Où comment repeindre en innovation et modernité un capitalisme débridé qui n’a rien de neuf, mais sous le sympathique label des start up. Des start up où on exploite sans vergogne, mais avec tables de ping pong et salles de repos… Ceci dit, si Emmanuel Macron représente une menace c’est d’abord parce qu’il est extrêmement flou sur le programme qu’il mettra en œuvre. Un programme qu’il a d’ailleurs tardé à présenter d’autant que, selon ses propres termes, « c'est une erreur de penser que le programme est le cœur » d'une campagne électorale. Avant d’affirmer que « la politique c’est un style » et d’expliquer qu’il ne renie pas « la dimension christique », qu’il « revendique » même.

Le style c’est l’homme ?

Le style c’est l’homme, en quelque sorte. Il est vrai que Emmanuel Macron s’y connaît en la matière. Ne déclarait-il pas, en mai dernier, à deux opposants à la loi travail, qui critiquaient l’usage du 49-3, lorsqu’il était encore ministre de l’Economie, que « le meilleur moyen de se payer un costume, c’est encore de travailler ? » L’ex-banquier d’affaires a un goût très sûr, puisqu’il s’habille chez Lagonda, un tailleur du 16e arrondissement de Paris, où le moindre costume vaut près d’un millier d’euros. Costumes qu’il a troqués contre des vêtements moins onéreux depuis qu’il est entré en campagne. Le style Macron est en effet devenu une tarte à la crème sur lesquels se penchent, avec un sérieux qui les honore, Gala, Society ou encore GQ. Toutes publications plus à l’aise dans l’analyse d’un nœud de cravate ou d’un blazer trois boutons, qu’à celui, plus aride, des propositions du favori des sondages.

Loulou Picasso

Ne pas proposer de programme, le comble de la modernité ?

Mais au-delà du style, il y a dans ce refus de proposer un programme politique, un mélange d’arrogance et de mépris. Pourquoi se fatiguer à proposer un ensemble de mesures précises et chiffrées -exercice auquel s’astreignent tous les cinq ans les candidats à cette grande foire qu’est la présidentielle-, puisqu’il s’agit avant tout de désigner un homme qui se glissera dans le costume, pourtant bien élimé, de monarque républicain, selon la logique de la Ve république ? Logique que le candidat de « En marche » n’entend nullement remettre en cause. Emmanuel Macron a donc entrepris l’exercice a minima et avec un retard à l’allumage parfaitement calculé. Ne pas présenter de programme serait ainsi non seulement « moderne », mais surtout très pratique pour éviter l’examen attentif de ce dernier. Comment, par ailleurs, pourra-t-on reprocher au nouveau président élu -si les prédictions des sondages se confirment-, de tourner le dos à un programme qu’il présente de toute façon comme parfaitement accessoire ?  « Votez pour moi, je suis beau, jeune et dynamique », semble nous dire le candidat Macron. Ce serait déjà suffisamment inquiétant en soi, mais ce n’est pas tout. Car il y a tout de même des mesures qui, à défaut de constituer un programme complet, en disent assez long sur l’avenir que nous propose l’ex-ministre de l’Economie.

Loulou Picasso

Un vrai big bang social

On ne pourra pas reprocher à l’ex-associé de la Banque Rothschild une quelconque incohérence dans son programme concernant les banques et les assurances. Effaçant d’un revers de manche les leçons des dernières crises financières, il veut assouplir la régulation de la finance. Revenir sur les normes prudentielles qui encadrent les activités des banques et des assurances, est-ce seulement prudent ? Est-il crédible lorsqu’il annonce que « les protections corporatistes doivent laisser la place aux sécurités individuelles », lui qui a servi de cheval de Troie à Uber, mais qui a calé devant les notaires, groupe dont le corporatisme est autrement plus puissant que celui des chauffeurs de taxi ? Et de quelles sécurités individuelles parle-t-il, lui qui propose le retour du SMIC jeunes ? Ou encore « la sécurisation des licenciements pour les entreprises », en prévoyant un barème d’indemnisation pour les licenciements et un court délai de jugement pour les prud’hommes, soit les deux mesures de la loi Travail, qu’il n’a pas réussi à imposer ? Augmentation des retraites les plus basses de 100 euros, hausse du salaire net via la suppression des cotisations maladie et chômage transférées sur la CSG, extension de l’indemnisation du chômage aux indépendants, suppression de la taxe d’habitation pour 80% des personnes assujetties : a priori, nous aurions tous à y gagner. Mais lorsque l’on regarde où nous mènent concrètement ces mesures, cela semble beaucoup moins évident. Car son programme tient du big bang économique et surtout social.

L’enterrement en première classe de l’assurance chômage

Avec sa proposition de supprimer les cotisations maladie et chômage remplacées par une hausse de la CSG, Macron promet une hausse temporaire du salaire net (20 euros par mois), mais il enterre aussi l’assurance chômage telle que nous la connaissons aujourd’hui et l’assurance maladie par la même occasion. Il ne s’en cache pas, puisqu’il veut nationaliser l’UNEDIC, aujourd’hui gérée par les partenaires sociaux, syndicats de salariés et du patronat. Macron propose de supprimer le principe actuel d’assurance chômage. Aujourd’hui, les salariés cotisent à l’UNEDIC pour se prémunir du risque de chômage, selon un principe assurantiel et perçoivent en contrepartie les indemnités pour lesquelles ils ont cotisées. Leurs indemnités sont fonction de leur niveau de salaire et de la durée de cotisation. Si Macron met sa réforme en pratique, qu’en sera-t-il demain ? C’est l’Etat qui fixera les règles d’indemnisation, le montant de celles-ci et leur durée. Pas vraiment rassurant. Selon son orientation politique, il pourra rendre plus drastiques les conditions d’indemnisation, réduire les allocations versées et même réintroduire leur dégressivité. L’indemnisation du chômage serait financée par la CSG, un impôt dont l’assiette est plus large que les cotisations sociales puisqu’elle frappe aussi les revenus du capital. Mais Macron ne dit rien du problème principal de la CSG : non seulement son paiement n’ouvre pas droit à des prestations, contrairement aux cotisations sociales, mais en plus c’est le seul impôt direct qui ne soit pas progressif.

Asphyxier la protection sociale

Macron souhaite donc remplacer l’assurance chômage par un revenu d’assistance sociale, de faible montant. D’ailleurs, il a annoncé 10 milliards de baisse des dépenses pour le chômage. En effet, si les salariés voient leurs cotisations diminuer, ce sont surtout celles du patronat qui seront allégées, Macron annonçant qu’il veut baisser ces dernières de 6 points. Tout comme il veut réduire drastiquement l’impôt sur les sociétés qui passerait de 33,3% à 25%, la moyenne européenne. Moyenne qui baisserait et appellerait donc une nouvelle baisse de l’imposition des entreprises, selon une logique bien connue de dumping fiscal. Or, ces mesures sont dangereuses parce que difficilement réversibles. Quel président pourra rétablir des cotisations sur les salaires au risque d’amputer le pouvoir d’achat ? Lequel pourra augmenter les impôts sur les sociétés ou réduire les allégements de charges pour les entreprises, auxquelles ces dernières se shootent depuis des années, une fois qu’ils seront pérennisés via le taux des cotisations patronales ? Et s’agissant de ces cotisations patronales pourquoi ne pas aller plus loin et les supprimer carrément ? On le voit, ces mesures qui sont le cœur du programme d’Emmanuel Macron constituent une sorte de big bang qui redéfiniraient le modèle social français sans possibilité de faire marche arrière, un peu à la manière d’une Margaret Thatcher à la française, avec un emballage peut-être plus sexy. Car, une fois le budget de la protection sociale amputé de ses principales recettes, que restera-t-il à financer ? Le favori de la présidentielle a beau promettre un « revenu décent pour tous », il risque fort de ressembler comme deux gouttes d’eau au RSA, à propos duquel il avait déclaré, en février dernier : « si on savait le multiplier par deux, j’ose espérer qu’on l’aurait fait depuis longtemps ».

Des pensions de retraite sous forme de variable d’ajustement ?

L’autre danger de son programme, c’est la réforme des retraites, qui serait remplacée par un unique régime par points. Un système mis en place en Suède et qui n’a pas fait que des gagnants. Là aussi c’est un vrai big bang. Sous l’apparence d’un système universel et équitable, puisqu’un euro cotisé donnerait les mêmes droits. Sauf que le système de retraite actuel est progressif, avec un taux de remplacement moins élevé pour les cadres que pour les bas salaires. Ce sont donc les bas salaires qui seraient lésés avec le système Macron. Le problème, c’est que ce système ne comporte pas d’amortisseurs, contrairement au système actuel qui prend en compte les carrières incomplètes, la maternité (avec la majoration pour enfants) et la pénibilité. Macron a d’ailleurs annoncé la fin du compte pénibilité. Mais ce n’est pas tout. Contrairement au système actuel, qui garantit une fraction du salaire à partir d’un certain âge et du nombre de trimestres validés, dans le système de retraite par points, le salarié accumule un « capital » de points convertis ensuite selon l’âge, l’espérance de vie et la conjoncture économique. Impossible dès lors de prévoir le montant de sa retraite, puisque c’est le montant de la pension qui sert de variable d’ajustement. Par ailleurs, les femmes, qui vivent plus longtemps, toucheront-elles une retraite plus faible ? C’est déjà le cas aujourd’hui, certes. Mais ces disparités s’aggraveront-elles ? En tout cas, là encore, il sera difficile de faire marche arrière, si Macron met en place ce nouveau régime de retraite.

Baisse drastique des dépenses publiques

Ce que l’on peut reprocher à Emmanuel Macron, c’est d’avancer masqué.  Si l’on se fie à ses annonces, le minimum retraite sera cependant augmenté de 100 euros, tout comme l’allocation adulte handicapé. Mais après, une fois ces augmentations consenties, comment sera financée notre protection sociale ? D’autant que le candidat Macron prévoit aussi 10 milliards de baisses d’impôt. En commençant par l’impôt sur la fortune, bien entendu. Mais ce n’est pas tout. Il prévoit aussi de réduire la dépense publique pour rester dans le cadre des 3% de déficit fixés par l’Union européenne. Ce qui correspond à 60 milliards d’euros de baisse de la dépense publique. On comprend que l’Association des maires de France se soit montrée méfiante sur la volonté de Macron de compenser à l’euro prêt le manque à gagner de la suppression de la taxe d’habitation de 4 Français sur 5, l’une des mesures phares de son programme.

La fin du chômage de masse mais avec des « mini jobs à l’allemande » ?

Là où paradoxalement son programme pourrait réussir, c’est en ce qui concerne la fin du chômage de masse. Macron sait qu’en la matière, il marche sur des œufs. C’est pourquoi son programme se veut rassurant. Dès son arrivée à Pôle emploi, un chômeur se verrait proposer un « bilan de compétences », puis orienté vers une « formation qualifiante ». Qu’entend-t-il par formation qualifiante ? Sera-t-elle imposée en fonction des fameux « secteurs en tension » ? Mystère. Mais la suite est moins plaisante, puisqu’après cette formation, le chômeur devra accepter les « offres qui lui sont proposées ».  Sous peine de perdre son allocation. Des prestations qui seront « strictement conditionnées (aux) efforts de recherche, avec un contrôle drastique », menace Emmanuel Macron dans l’Express. Ces mesures seront-elles suffisantes pour en finir avec le chômage de masse ? Macron promet de le faire baisser de 7% en cinq ans. Il faut se rappeler que lors de son arrivée au pouvoir en Allemagne, Gerhard Schröder a considérablement mis à la diète le régime allemand d’assurance chômage, qu’il a terriblement durci les règles applicables aux chômeurs, tout en facilitant les licenciements et en développant l’emploi précaire. Résultat ? Une baisse durable du chômage, qui est passé de 11,3% à l’arrivée du chancelier social-démocrate à 4,2% aujourd’hui, mais avec le développement massif d’emplois à bas salaire. Ces fameux mini jobs à 400 euros par mois. Au point que les inégalités se sont considérablement aggravées, faisant de l’Allemagne la championne d’Europe en la matière. Mais la France pourrait-elle s’accommoder d’un tel niveau d’inégalités ? Comme l'explique au Monde Patrick Artus, économiste chez Natixis, « Traditionnellement, la France rejette ce modèle d’emplois peu qualifiés, qui permet d’assurer le plein-emploi au prix de l’existence de salariés à très faibles revenus dans les pays qui l’acceptent, comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis »

Véronique Valentino, le 3 avril 2017

Mis à jour le 24/04/2017