Désintégration, autrefois dans les coulisses de Matignon avec Ayrault

Matthieu Angotti a dernièrement publié, avec Robin Recht chez Delcourt, Désintégration, le récit de son expérience de conseiller de Jean-Marc Ayrault, en charge de la réforme de la politique d’intégration. Une plongée saisissante dans les rouages d’un gouvernement au bord de l’implosion, par un homme de gauche, dont c'est la première expérience dans le monde de la B.D.

L’idée est venue de mon ami dessinateur Robin Recht, qui s’intéressait à la politique et avait envie de changer d’univers par rapport à ses albums précédents (Elric, Le Troisième Testament…). Lorsqu’il a su que j’allais à Matignon, il m’a demandé de tenir un journal quotidien, au cas où il se passerait des choses que j’aurais envie de raconter plus tard.  J’y ai noté les dialogues bruts avec précision, tels qu’ils se sont dits. Je ne voulais rien raconter de seconde main, quitte à laisser de côté certaines informations que je ne pouvais pas vérifier par moi-même, pour ne pas que le lecteur puisse douter de l’authenticité de ce qui est raconté.

Comment s'est organisé le travail avec Robin Recht ?

Le travail s'est organisé en plusieurs séquences. Durant les 18 mois que j’ai passé à Matignon, on se voyait une fois par mois dans la pizzeria du coin pour se tenir au courant. Après mon départ, il y a eu un gros vide d'un an, durant lequel j’avais besoin de souffler, de faire mon deuil. Ensuite, Robin m’a rappelé pour me dire qu’il ne comprenait rien aux notes que je lui avais envoyées, que j’ai dû retravailler pour en tirer un texte d’une centaine de pages.

Une fois le choix de l'histoire à raconter fait, j’ai produit un synopsis qui a été découpé en une quarantaine de scènes, et Robin a fait les premiers croquis des personnages. On a présenté tout cela au monde de la BD, et David Chauvel de Delcourt a été emballé. Après cela, Robin m’a demandé de faire un tableau à 3 colonnes en séparant l’action, les didascalies et le dialogue. L’idée du gaufrier à 9 cases, que l’on retrouve tout au long du livre, était depuis le début claire dans sa tête.

L’album est centré sur le dossier de la politique d’intégration, est-ce un cet angle difficile ?

Ça a été très difficile, de l’ordre du sacrifice. Outre la politique d’intégration, j’ai notamment travaillé à élaborer le plan pauvreté, ce qui est montré au début de l’album. Et c’est très tentant de parler de ses succès, de dire « Regardez ce que j’ai fait », avec ce plan pauvreté par exemple. Mais je me suis rendu compte que pour faire une BD, il fallait une histoire pour la porter, avec un début et une fin. Finalement, le dossier de l’intégration était celui qui présentait le meilleur potentiel.
Durant mon séjour au ministère, nous avons au maximum encouragé la co-construction avec la société civile, ce que je trouve primordial. Nous avons fait collaborer des experts et des citoyens, pour avoir des groupes de travail les plus éclectiques possibles. Un moment qui m’a vraiment marqué était lors de la validation finale de la « Garantie Jeunes », une sorte de RSA pour les 16-25 ans. Nous avons pu faire participer à la réunion une jeune femme de la mission locale de Carcassonne, qui avait suivi le projet depuis le départ. Et cela s’est passé à Matignon, en présence du Premier ministre ! Ce genre de victoires, c’est pour moi un premier pas. Mais il est aussi évident qu’il faut revoir les processus de sélection et les concours, qui sont dans leur nature même des machines à reproduire les élites. Nous avions fait des tentatives pour aller dans ce sens, mais elles ont tout de suite été torpillées…

Pensez-vous que la gauche ait totalement laissé tomber la question de l’intégration ?

Il est vrai que l’on fait encore trop l’amalgame entre immigration et intégration. Et certains saisissent le prétexte de la laïcité à la première occasion, comme on a pu le voir avec Manuel Valls et l’histoire du burkini. Mais j’ai eu une bonne surprise fin mars, avec la publication d’un rapport intitulé « Pour construire un monde commun : l’urgence d’une politique d’intégration » par le think tank de gauche Terra Nova. Je pense qu’il faut y croire, la question de l’intégration va finir par revenir.

Si l’occasion se présentait, seriez-vous prêt à travailler de nouveau sur ces thématiques, pour un autre gouvernement ?

Ce que j’ai compris avec cette expérience, c’est qu’il faut être en cohérence avec le contexte dans lequel on travaille… Ce qui est particulièrement difficile quand celui-ci est incohérent, comme on peut le voir dans l’album. Quand on est entouré de gens hostiles à ce que l’on veut faire passer, il ne suffit pas d’y croire, cela ne marche pas. Pour être clair, je n’irais pas travailler avec un gouvernement de droite : il y a des clivages politiques, et il faut les assumer. Bien entendu, c’est grisant de sentir que l’on peut faire changer les choses, mais il ne faut pas non plus se retrouver en porte-à-faux.

Dur, dur d'être un homme d'appareil quand l'appareil est grippé - comme depuis trop longtemps ici - avec la pensée monolithique des énarques qui ont réponse à tout, mais n'en font rien …

Jean-Pierre Simard (avec Bodoï) le 24/04/17

Désintégration de Matthieu Angotti et Robin Recht, éditions Delcourt