Actress, comme Spoek Mathambo cherche le son global… AZD (as one, two, three)

A bien chercher les équivalents musicaux de la quête incessante d'Actress, on finit toujours par retomber sur Detroit, voir Chicago, si pas Londres. Et, cette fois, avec AZD, on y croit vraiment, pour cause d'accessibilité; là, où Ghettoville, ne parlait qu'aux clubbers hardcore déjà congelés dans un entrepôt vide…  Changement de cap, nouveaux moyens, nouvelles attentes et créations. Une petite explication s'impose.

Pitchfork qui a des lettres, et veut le faire savoir (à défaut de savoir danser) - parce qu'on n'en a pas grand chose à cirer -  fait ronfler la citation pratique de derrière les fagots. Tirée du Plus Brillant que le soleil, un essai de Kodwo Ethun qui analyse la techno par la lentille de l'afro-futurisme et parle de Darren Cunningham aka Actress en ces termes ultra flatteurs : "On considère partout que "la rue" est le fondement et la garantie de toute réalité - envisagée du côté de la Musique Black, par une sorte de logique dévoyée qui inverse son surréalisme antisocial en réalisme social". On gardera pour Actress, le surréalisme antisocial qui convient au monde auto-centré à vision panoramique que crée en continu Cunningham, en y mettant les moyens et en louvoyant sans cesse d'une formule sonore à une autre.

Ghettoville se devait d'être son dernier album, mais las… Revoici AZD qui réoriente savamment le propos en remettant les potards vers le dancefloor - ou presque-  avec “X22RME”, le premier single. Le titre de l'album n'étant qu'un anagramme de son surnom d'enfant Daz, Actress en profite pour faire bouger largement les lignes empruntant autant aux son contemporains/avant garde techno qu'aux registres plus cool (on dira plus reconnaissables) du clubbing. Tout ceci au service d'une vision du monde qu'il développe au fil des douze titres. 

Comme Kendrick Lamar, avec le hip hop de Damn., ou avec le Mzanzi Beat Code house de Spoek Mathambo, on a à faire ici à un album qui veut faire sens et trouver sa place dans le monde en lui donnant des buts et des finalités à partir de son propre point de vue : Lamar en opposant sciemment la religion et le social faisandé de l'ère Trump, pendant que Mathambo affirme vivre dans un after hour digne de l'apartheid, quand Actress vit sous Theresa May l'avènement du Brexit et ne sait plus s'il faut danser conscient ou se souvenir qu'on l'a fait … Un peu crépusculaire, mais sensé !

Repartons du surréalisme antisocial développé plus haut et voyons comment ça joue ici : en mélangeant des composantsqui ne fonctionnent pas du tout de la même façon et se juxtaposent ici, en disant que quelque chose a changé. Les mélodies plaintives de boîte à musique se laissentenvahir par des beat ondulants et mouvants, comme sur Runner, quand ailleurs sur Untitled 7 des cordes synthétiques se conjuguent à une ligne de basse ascendante, avant de laisser place à des cymbales qui changent entièrement la tonalité du morceau. Quand Fantasynth fait boucler une mélodie au dessus d'un beat pour laisser ensuite quelques autres sons passer ça et là. Rammellzee a été mis à contribution sur CYN où l'on retrouve le parallèle fait le regretté New-Yorkais dans son futurisme gothique entre moines médiévaux et taggers qui y retrouvent la puissance de l'alphabet romain, oublié par le développement de la civilisation occidentale. Et c'est l'idée de l'album qui immerge son auditeur dans plusieurs univers à la fois, lui proposant des pistes, mais en lui en offrant d'autres quasi en même temps, comme sur Dancing in the Smoke  où l'on se ballade comme à l'intérieur d'un War Game vidéo.


L'autre idée forte est celle du chrome arboré sur la pochette qui intensifie les contrastes du noir et du blanc. Il en joue comme d'une esthétique qui envoie la purée à travers le son d'un vieil auto-radio ( bien pourri) et fait oublier les limites du club dans lequel il vous avait précipité auparavant… Puis, il avance sa collaboration avec le London Contemporary Orchestra sur Fauré in Chrome où il glisse des dysfonctionnements crissants pour enlever une part de la mélancolie du titre et lui faire avouer d'autres et nouvelles fréquences harmoniques insoupçonnées.

Au final, avec ces nouvelles directions mélangées, Actress tient son auditeur en haleine, ayant réussi à faire plus conceptuel et plus accessible et il le tient autant par le bout de la mélodie que celui qui fait dire qu'il est encore loisible de danser. Mais pas con !  Oublié de bunker de Ghettoville, enter the void avec AZD. L'incertitude du temps est là. Manifeste. Mais elle est conceptualisée et laisse place à la réflexion sur le monde dans lequel elle s'exprime. Ecoutons le présent d'une Angleterre qui file vers un inconnu pas vraiment rassurant et dansons sur les décombres avec les repères offerts en science-fiction, histoires musicales et réalités socio-spatiales ici présentes. Pas d'un abord facile à la première écoute, l'album se livre petit à petit, mais il fera date.

Jean-Pierre Simard le 20/04/17

Actress - AZD - Ninja Tune