L'apartheid en afterparty ? le credo de Spoek Mathambo

Pour Mzansi Beat Code, Spoek Mathambo délaisse un peu le micro et se consacre à la production et au beatmaking hybride de la house sud-africaine : le Bacardi, le Gqom de Durban, la Sghubu house… On y retrouve aussi des sonorités rap, new-wave, techno, house américaine et même des éléments de musique zulu, comme le Maskandi. Sur son sampler Roland et avec son laptop, Spoek croise percussions éclatantes, guitares bondissantes et pluie de samples avec extraits de discours, de sketches, de vieilles émissions de télés, de sons de la ville ou de coups de feu. Alléchant, non ?

« L’album joue avec la notion de media. J’enregistre énormément de sons avec mon dictaphone ou directement sur YouTube. Tout s’entrechoque pour tenter d’exprimer quelque chose de global. »

Avec déjà trois albums solo à son actif, sans oublier ses projets collaboratifs Fantasma et Batuk, Spoek Mathambo est un véritable activiste de la musique. En 2008, l'occident découvraitla scène électronique sud-africaine avec le “Township Funk” de DJ Mujava, Spoek Mathambo s’inscrit dans l’héritage de tous ces artistes sud-africains qui inventent et innovent dans des conditions précaires. « Je fais de la musique pour les générations futures. Un jour ce sera à mon tour d’être un ancêtre. L’important c’est que c’est cet héritage reste bien vivant. » Dans le documentaire Future Sound of Mzansi, qu’il a coréalisé avec Lebogang Rasethaba et où ils donnent la parole aux artistes de tout le pays, un des musiciens interrogés témoignait d’une même démarche : « Il ne s’agit pas d’avoir de l’argent mais de laisser une trace. »

Une quinzaine d’artistes figurent au générique de l'album : au chant, aux guitares, ou à la production. Dans “The Mountain”, il remixe un titre de l’artiste américain Pegasus Warning, qu’il a finalisé avec ses aînés DJ Spoko et DJ Mujava. Sur plusieurs titres, on retrouve aussi sa bande de Fantasma et sur “Volcan”, Ceci Bastida, chanteuse mexicaine basée à Los Angeles. « Elle raconte une vieille légende mexicaine à propos de deux montagnes situées à l’extérieur de Mexico City. L’une des deux s’en va. L’autre croyant qu’elle ne reviendra jamais se suicide. Mais la première finit par revenir et, voyant le corps de l’autre, se suicide à son tour. Elles se transforment alors en deux immenses volcans. C’est Roméo et Juliette ! Avec les guitares zulu et les rythmes shangaan, on dirait que Ceci chante dans une langue d’Afrique du Sud. J’aime beaucoup créer ce dialogue entre l’Amérique Latine et l’Afrique du Sud. On partage tellement de choses en termes de cultures et de musiques. On partage tellement de choses, de mythes, de musiques… Des cultures qui reposent sur des siècles de mobilité et de migrations, bien avant l’esclavage. »

Avec cet album, Spoek se fait l’ambassadeur de son pays dans le but de faire évoluer notre regard sur les musiques sud-africaines. « Le reste du monde a souvent une vision dépassée, réductrice voire totalement fausse de notre culture. Je veux démontrer la vitalité, la diversité et l’incroyable énergie des musiciens Sud-Africains, capables de jouer punk autant que de produire le meilleur hip-hop ! Je suis fier de tout ce dont je suis capable aujourd’hui. Je le dois à tous les artistes que je côtoie quotidiennement dans mon pays. »

 

Par le passé, tellement de forces ont cherché à faire disparaître ces cultures ; mais la culture sud-africaine est empreinte de résilience et de ténacité. Comme il est dit au début du morceau “Black Rose” : « Chaque jour que tu vis dans ta chair en assumant qui tu es, c’est de l’activisme ». Mzansi est un mot d’argot qui désigne l’Afrique du Sud. Mzansi Beat Code, c’est la carte au trésor de Spoek Mathambo, hommage à tous les musiciens sud-africains passés, actuels et à venir. Histoire de figer dans le temps ce moment incroyable qui fait aujourd’hui de l’Afrique du Sud un des épicentres des musiques électroniques. La culture sud-africaine est vivante, debout, déborde d’énergie et elle a envie que ça sache. Pas dupe de son propos, il affirme quand même vivre (cf. titre) à l'ère de l'afterparty de l'apartheid…

Jean-Pierre Simard (avec Prospect) le 19/04/17

Spoek Mathambo -  the Mzansi Beat Code - Teka Records