Tanbou Toujou Lou, la révolution musicale à Haïti 60/80

Les diggers new-yorkais de Ostinato Records ont sorti récemment une compile sur le Cap Vert qui nous a donné envie de découvrir leurs précédentes exactions. Et là - bing! on tombe sur cette super compile de sons haïtiens datant des 60 à 81. Cela envoie carrément le bois et fait remonter des souvenirs oubliés de Tabou Combo, comme des Loups Noirs. Intro à un bouillonnement d'époque.

Tanbou Toujou Lou: Merengue, Kompa Kreyou, Vodou Jazz & Electric Folklore from Haiti 1960-1981 exhume des clichés musicaux ( mais pas que…) de la dite perle des Caraïbes, Haïti. Mais en écoutant bien, ce que donne là ne peut pas se réduire à la modernité avouée d'un son, c'est plus celle d'une île qui vit des révoltes sociales et politiques en les traduisant par l'inventivité d'un son et et le métissage de sonorités qui absorbent aussi bien la Caraïbe que l'Afrique de l'ouest : du merengue de la Dominique, comme de la Colombie avec la cumbia , entre accordéon et guitare ; côté cubain, on va danser sur le son, la guajira et les rythmes afro-cubain, tout en absorbant des éléments de la Harlem Renaissance des années 20. 

De la fin des années 50 au début des années 70, beaucoup d'Haïtiens ont fui l'île pour échapper aux persécutions organisées par le dictateur François Duvallier et ses tontons macoutes, pour former des solides communautés autant à Miami qu'à Brooklyn. Tanbou Toujou Lou est composé d'archives radio et privées trouvées dans des collections à Port-au-Prince comme à Brooklyn. Le digger et producteur Vik Sohonie raconte : "Je ne fais plus le compte des garages, caves et appartements que j'ai fouillé pour trouver les titres. Ce, au plus froid de l'hiver et à l'écart des lignes de transport. Il va sans dire qu'il y a un fonds prodigieux d'archives vinyliques à New York…" Mais il va sans dire que les archives locales ont quasi toutes disparu avec le séisme qui a dévasté Haïti en 2010. 

La plupart des sons de Tanbou Toujou Lou sonnent primitif, mais jamais simple. “Lagen” de Zotobré, un all star des 70's haïtien dirigé par le compositeur-saxophoniste Webert Sicot balance fièrement la purée et ce, sans pouvoir la dater ni s'empêcher d'onduler du bassin.  “Gislene” a été le premier tube composé par Albert Chancy, le co-fondateur et guitariste de Tabou Combo, une institution culturelle, en sois, dans le paysage musical de l'île des années 60 et 70. Le genre de truc qui brille poussé à la fois à l'accordéon et à la guitare en dévoilant des vocaux surgis des recoins tordus de son rythme dancehall. Plus tard, Chancy sera même conseiller du Président Michel Martelly.


Plus loin les guitares psychédéliques de “Rapadou”  par Rodrigue Milien et Son Groupe Combite Creole montrent à l'évidence qu'Hendrix a bien porté sa parole saturée au monde entier. Des expérimentations qu'on retrouvera aussi sur la fusion funk caribéenne de “Diable La” par Les Shleu Shleu. Et cela se terminera en beauté par des somptueux arrangements de cuivres et de vocaux masculins/féminins sur “Meci Bon Dieu” de l'Orchestre de la Radio National d’Haiti).

Un demi-siècle plus tard, tout cela reste diablement pertinent et atteint toujours son but : vous faire bouger au-delà des saisons et des climats politiques avariés de là-bas. Nice job !

Jean-Pierre Simard

VA – Tanbou Toujou Lou: Meringue, Kompa Kreyol, Vodou Jazz, & Electric Folklore from Haiti 1960-1981 Ostinato Records