Fragments de colère, de révolte et d’espoir pour dire l’histoire et la fermeture d’un site emblématique de l’industrie française
«12 juillet 2012, Aulnay. PSA annonce la fermeture. Depuis vingt ans, depuis Renault-Billancourt, c’est la première grande usine automobile qui ferme […]
Un ouvrier s’emporte : « On va être leur cauchemar. » Il y a ceux qui s’y préparaient, ceux qui ne s’y attendaient pas. Ceux qui luttaient déjà contre. Il y en a qui font des malaises.
Le maire passe. PS, il est entouré, interpelé. Il ne sait pas quoi dire, il ne veut pas que ça ferme.
La direction a donné une heure aux salariés pour prévenir leur famille. À la Bourse, le titre PSA s’envole, deuxième plus forte progression de la cote.»
Sylvain Pattieu, romancier et historien, a côtoyé et recueilli les témoignages des ouvriers du site PSA d’Aulnay pendant de longs mois en 2012 et 2013, après l’annonce de la fermeture et de la suppression de 8000 emplois, pour en tirer ce livre sous titré «Chronique de PSA Aulnay», document littéraire paru fin 2013 aux éditions Plein Jour.
Cette mosaïque de témoignages d’ouvriers aux profils très divers permet de plonger au cœur des vies bouleversées par cette annonce, de souligner le combat des ouvriers pour la dignité et la solidarité, de souligner aussi les dissensions internes, la désillusion vis-à-vis du gouvernement, mais aussi les conditions de travail, la dureté de la chaîne, l’attachement au travail et en particulier à ses dimensions techniques.
«J’en ai tellement à raconter sur PSA, avec moi il est déjà écrit, ton livre. Prends ton stylo, écoute.»
Armé de son stylo et de son carnet de notes, Sylvain Pattieu recueille ces paroles recueillies à Aulnay à partir de l’annonce de la fermeture du site, et les entremêle à une perspective passionnante sur l’histoire de ce site industriel inauguré en 1973, une histoire indissociable de celle de l’immigration et des banlieues françaises : la politique initiale de recrutement d’ouvriers directement en Afrique du Nord, en réponse à la syndicalisation de la main d’œuvre après mai 1968, des ouvriers très peu éduqués et parfaitement dociles jusqu’à ce point de bascule, la grève des ouvriers immigrés de 1982, puis le changement de profil des ouvriers avec le recrutement de jeunes des cités voisines à partir des années 2000, le fossé entre générations, et enfin la lutte après l’annonce de la fermeture, et la grève des quatre premiers mois de l’année 2013.
«Philippe :
Les jeunes qui sont entrés à l’usine dans les années 2000, ils en avaient rien à faire des syndicats. Ça se voyait quand on distribuait des tracts, ils les prenaient même pas. Normalement, tout le monde les prend. Pour eux, le syndicalisme, c’était un truc de vieux. Puis il s’est passé ce qui se passe toujours. L’exploitation. Ils ont commencé à bosser en chaîne, ils ont vu que c’était dur, ils se sont dit, c’est pour un an, deux ans, après on va monter. Ils sont pas montés. Ils ont vu que ce serait la chaîne toute la vie. Ils ont discuté avec les anciens, aussi. Ceux qui avaient fait 82. Ils avaient l’âge de leurs parents. À la cité, les parents, c’est ceux qui se sont fait exploiter, écraser. Là ils arrivent à l’usine, et ils voient que leurs pères, c’est des héros, en fait. Qu’ils ont fait ployer Citroën. Cassé leur système. Ils ont redécouvert leurs parents.»
Les témoignages rassemblés dans ce livre permettent de toucher du doigt l’importance de la lutte comme combat des hommes pour leur dignité, un combat matériel mais aussi symbolique.
Par rapport à l’objet, et parfois la violence, des conflits ouvriers historiques mis en perspective ici par Sylvain Pattieu, on ne peut que constater l’écho faible et temporaire de cet événement au regard du séisme annoncé à Aulnay en 2012 – la fermeture d’un site industriel emblématique de l’industrie française avec l’annonce de 8000 suppressions d’emplois, chiffre porté à 11200 à la fin 2012 -, révélateur d’une forme d’acceptation à combattre autant que l’événement lui-même.
Sylvain Pattieu - Avant de disparaître - éditions Plein Jour
Charybde7 le 27/03/17
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