La déchéance culturelle selon Richard Millet
Dans le numéro 66 de la revue littéraire La Revue littéraire (pardon pour la répétition), Richard Millet, qui en est le rédacteur en chef, pose cette question:
« N’y a-t-il pas pour un écrivain, une manière de déchéance à regarder une série télévisée américaine, genre devenu le vecteur privilégié de la sous-culture mondialisée, avec le rock, le roman policier et le cinéma pornographique ? »
C'est assez intéressant, dans le contexte actuel, cet usage du mot "déchéance". Ainsi, après la déchéance de nationalité, il y aurait une déchéance de culture, assumée celle-ci, et dont se rendraient coupables (ou victimes) les écrivains s'abaissant à regarder des séries américaines (pas brésiliennes?). On notera que Millet ne parle pas d'écrire sur les séries, ou même d'en parler, voire de les critiquer, non, juste de les regarder. Ne nous attardons pas sur la distinction culture haute/culture basse, purement vestimentaire. Retenons juste que les séries américaines sont un "vecteur", au même titre que le rock, le polar et le x, ces trois cavaliers de l'apocalypse qui n'attendaient qu'un quatrième (Breaking Bad? Game of Thrones ?) pour plonger les écrivains dans les ténèbres. On se demande bien d'ailleurs pourquoi Millet oublie de citer les jeux vidéos, qui, tant qu'à être con et réac, peuvent inquiéter un peu plus que le "roman policier". Mais bon, c'est quand même flippant de savoir que si tu lis Simenon après avoir écouté les Stones juste avant de mater Lost, tu es devenu le compagnon de Satan. T'as même plus envie de mater un porno, après ça.
Ne perdons pas de temps à citer à l'intention de Millet les noms de tous les écrivains qui se sont, par le passé, penchés sur certains pans "indignes" de la culture, à des fins créatrices ou même seulement récréative. On se demandera juste en quoi consiste la "déchéance" dont parle Millet. De quoi déchoit-on? D'une certaine hauteur? Laquelle? Quel est ce nid d'aigle dont il est fait ici question? En confondant statut social et exigence culturelle, en soupçonnant derrière la curiosité intellectuelle ou le besoin de détente un penchant pour la dépravation, Millet ne fait au final que troubler ses eaux déjà bien cradingues pour dissimuler son piteux credo: Ce n'est pas en écrivant à part qu'on devient un grand écrivain, c'est en se prenant pour un grand écrivain que l'on s'imagine à part.
Bref, comme le dit si bien l'inspecteur Rustin Cohle dans True Detective:
"Transfert de la peur et du dégoût de soi à une instance autoritaire"…
Cannibale Claro le 14/03/17
Claro est écrivain, traducteur et éditeur. Il chronique la vie littéraire (et autre) depuis l'an dernier dans L'Autre Quotidien. Vous pouvez le retrouver sur son blog : Le Clavier cannibale.