Venise 2017, la Biennale des poussettes (2/2)
Suite et fin des aventures de Richard et Anne à Venise, entre surpopulation des lieux, poussettes criardes et conception de l'art, pas trop compliqué à regarder, à défaut d'y voir un quelconque intérêt. Les Doges font une drôle de musique, nos deux explorateurs s'imprègnent et déglutissent. Riz amer au pays des gondoles. Fin de parcours de ce tiède novembre lacustre.
Après ce choc, une autre installation va nous marquer, alors que nous marquerons de notre pouce humain, un passeport imaginaire imaginé par le pavillon tunisien au sein de l’arsenal vénitien. Une guérite, simple, avec une personne qui vous demande de saisir votre empreinte de pouce et de l’apposer sur le passeport « Absence of the Path » et vous félicite. Only Human est stipulé sur ce document faussement officiel, et pourtant tellement en collusion avec la réalité inimaginable, une façon sublime et poétique de rendre l’art contemporain en prise totale avec le monde dans lequel il existe.
Une sublime installation du mexicain Carlo Amorales mêle cinéma, sculptures, musique et typographie dans un ensemble absolument cohérent et poético-tragique. L’œuvre hybride de l’artiste expose, fait entendre et fait lire une musique dont les caractères sont des céramiques exposées en formes diverses et chaque caractère génère un son d’Ocarina, cet instrument typique du Mexique. Au mur sont accrochés des partitions, retranscriptions de texte poétique. Il décale également ce langage inventé, pour raconté l’histoire d’une famille de réfugiés qui a été lynché dès son arrivée dans un village. C’est le sujet de son film, dont la violence n’est jamais présente autrement qu'avec les sons joués, les mots typographiés avec ces caractères et un marionnettiste qui manipule des êtres de papier.
L’ensemble est d’une beauté inouïe, enveloppés que nous sommes par le son, happés par cette « impossible » lecture, impressionné par les signes typographiques sculptés en céramique noire (de véritables ocarinas) posés comme des pierres sur les tables. On regrette de ne pas avoir été là lors des performances musicales qui utilisent ces caractères pour produire un « discours » et exécuter une partition poétique.Nous repartons avec le « journal » composé entièrement avec ces caractères d’une beauté formelle évidente, dont on rêverai lire à « haute voix » tous les articles pour jouer une musique unique.
Bien sûr il y aura aussi quelques pavillons au Giardini, mais particulièrement décevants. Tout d’abord parce que souvent les pavillons présentent un même style depuis 3 biennales, à croire que les pavillons ne peuvent recevoir qu’un type d’œuvres d’art, ensuite parce que ça ronronne, et ça clichetonne comme avec le zoo humain du pavillon allemand de Anne Imhof qui remporte le lion d’or ! Sans aucun doute, cela fait sensation auprès du grand public fan de télé-réalité, mais les autres repasseront. Quant au pavillon français, petit joyau sonore dans le tumulte du jardin, passé la beauté du geste architectural intérieur, il ne s’y passe pas grand chose. Didactique, l’événement auquel nous avons eu l’heureux hasard d’assister, une répétition, manque totalement de convivialité par refus de « régler la jauge », ainsi vous vous retrouver à 100 personnes dans une pièce qui peut en contenir moins de 50 et personnellement l’affluence du métro ne m’a jamais fait aimé la musique live ou quoique soit d’autre d’ailleurs. Ce péché d’orgueil, rend l’expérience douloureuse, voire insupportable, sans parler des compatriotes (je l’écrirais bien en deux mots) qui montrent leur impolitesse légendaire, mais là on frôle la performance, c’est peut-être cela aussi le dernier cliché du pavillon français à la Biennale !
Il nous faudra très peu de temps pour sortir du Giardini et parcourir le Venise qu’on aime, pour tomber sur les Palazzo qui accueillent les pavillons d’autres pays « hors les murs ». Nous sommes même tombés sur un Pavillon de la Diaspora, à l’intérieur, des œuvres qui interrogent le terme de diaspora lui-même en tant qu’expérience vécue par des artistes internationales. Bien moins manichéen et plus complexe, l’art semble bien être le fruit du métissage entre les cultures, les origines, les situations géopolitiques et permet à ceux qui les contemplent ou au moins les regardent, de questionner les notions d’immigration, d’humanité et d’égalité. C’est la bibliothèque britannique (The British Library) de Yinka Shonibare MBE qui retient et happe notre regard. Dans un flot de livres colorés, l’installation « rend visibles les influences culturelles de la colonisation et explore la riche complexité des cultures post-coloniales.»
Magnifique autant que questionnante, cette richesse visuelle nous fait réfléchir sur l’apport incontestable d’une autre richesse, celle de l’immigration, et de la dispersion des êtres humains sur la planète que l’on doit voir comme une chance d’un vivre ensemble globale plutôt que comme un problème à résoudre.
C’est le pavillon de l’Azerbaïdjan avec le travail de sculpture-installation de l’artiste Elvin Nazibade qui clôturera notre périple et enchantera notre point final en forme de poésie musicale. Under the Sun, véritable partition aérienne de Saz, fait virevolter nos sens et nos ombres qui se confondent avec les ombres des instruments. Nous nous retrouvons sous le soleil d’une musique imaginaire que l’on ressent sans l’écouter. Une prouesse au service de la poésie !Sphère, autre œuvre de l’artiste exposée, nous offre tout les possibles d’une culture musicale riche de tradition autant que de modernité, métissage et croisement des peuples et des pratiques d’instruments pour une musique universelle.
Nous repartirons le soir du 1er novembre. Je termine l’article le jour de clôture de la 57e biennale. Si elle ne nous a pas laissé des souvenirs aussi impérissables que les deux dernières fois, cela ne la rend pas moins intéressante pour autant. Ne serai-se que pour sourire devant la Golden Tower de James Lee Byars. Clin d’œil coquin, et très sérieux à la fois, dans l’une des villes où se trouvent le plus d’églises (je n’ai pas compté et je n’ai pas recherché, mais c’est l’impression que j’en ai), voir ce sublime outil de massage pour le visage* érigé en monument, rassure un peu sur les possibles de l’art en matière de libération des pratiques de massages en solitaire ou à plusieurs. Certes cela ne rendrait pas plus riches les fabricants de poussettes, mais assurerait un épanouissement certains dans ce monde engoncé dans un retour inquiétant à la pruderie !
*Référence au Catalogue de La Redoute ou à celui de Quelle que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, avec leurs pages «bien-être» où de jolies dames posaient avec une « golden tower » sur les joues. Mais c'est une autre histoire, d'avant les poussettes…
Richard Maniere le 28/11/17