Venise 2017, la Biennale des poussettes (1/2)
Ah Venise, « gondola, gondola ! » C’est la fin de la biennale. C’est la fin de la Biennale ? Il reste trois semaines en fait, mais nous, nous y sommes pour 3 jours et, pour la troisième fois, en cette période où l’art contemporain est à l’honneur sur la lagune.
Venise, c’est surtout l’art d’échapper aux clichés. Entre des balades en gondole hors de prix et les artères à éviter, on peut se retrouver très vite, dans le calme et le charme absolu d’une Italie accueillante et chaleureuse. Cependant, les biennales se suivent et se ressemblent de plus en plus. L’Arsenal qui accueille les pavillons internationaux et la grande expo « généraliste » ronronne gentiment. La lagune semble bien plus agitée et les reflets scintillants bien plus éblouissant, et ce, dès les premières heures de la journée. Ne boudons pas notre plaisir, 3 jours c’est court, trop court et après une arrivée tardive le dimanche soir dans une Venise plongée dans une nuit d’encre glacée, nous allons chercher nos billets d’entrée pour 48 heures divisées en deux : Une journée pour l’expo dans les grands bâtiments de l’Arsenal et une journée pour les pavillons du Giardini.
Nous commencerons par l’Arsenal qui offre une déambulation linéaire au cœur du long bâtiment. Toujours très risqué, la scénographie permet tout et son contraire. Déjà en 2015, seul Chris Marker et Kutlug Ataman sortaient leur épingle du jeu. Je sais cela fait peu, c’est très subjectif et un peu de mauvaise foi, mais dans un tel foisonnement d’œuvres, rares sont celles qui vous marquent à vie… Elles peuvent être de taille insignifiante ou monumentale, c’est leur essence qui vous touche et vous questionne pour faire de vous un être meilleur. Mais, deux ans se sont écoulés et l’invitation commence plutôt mal avec des thèmes bien trop généraliste pour nous questionner : Joies et peurs, l’éternité ou encore le chamanisme…
Et les œuvres vont avec ces évidences. Elles abordent toutes les thèmes de façon souvent littérales, en n'évitant aucun cliché et en ayant l’air de s’adresser à des enfants. Cela tombe bien car, des enfants il y en a !
Une des choses qui nous a le plus troublées (et parfois il faut bien le dire franchement dérangés) ce sont les poussettes. Non pas que les parents n’aient pas le droit d’amener leurs bébés et leurs enfants en bas âge voir de l’art, mais cette possibilité questionne sur la manifestation en elle-même, son lieu et ce qu’elle devient au fil des ans.
Que le public augmente, que l’art intéresse, questionne, rende curieux : quoi de plus normal ? Mais que celui-ci, peu à peu s’adresse à ce public avec une forme de plaisir immédiat, comme une sorte de terrain de jeu, un nouveau parc d’attractions, cela en dit long sur l’art contemporain; en tout cas celui que l’on montre tous les deux ans, dans l’un des endroits les plus beaux du monde. Venise est abordable, on peut s’y rendre en une heure et demi de Paris lorsqu’on ne prend pas une compagnie low-cost. Sinon, comptez plutôt le double et il faut avouer qu’entendre parler français sur toutes les berges du canal n'aide pas vraiment au dépaysement. Dans ce contexte de destination « up to date », Venise souffre et la Biennale sans doute, d’un succès grandissant et des défauts qui vont de pair : l’obligation de plaire et satisfaire le plus grand nombre. Une fois encore, il ne s’agit pas de considérer que l’art ne doit s’adresser qu’à une certaine catégorie de personnes, c’est même tout le contraire. L’art doit s’adresser à tous et pour cela rester exigeant, ambitieux, troublant, questionnant, sensible, dérangeant, et bousculer toutes les habitudes et les lieux communs.
Beaucoup de scolaires, des groupes de très petits jusqu'aux ados qui ont l’air de s’ennuyer ferme, indiquent que l’exposition veut être trop didactique, explicative, littérale. Comme ce thème, abordé, sur l’infini, avec une dernière installation au bout du bâtiment, sorte de labyrinthe en miroir ! Bienvenue aux palais des glaces ! Il y a bien quelques encadrements vides pour regarder au travers et se jouer de la perception première que nous avons. L’effet, même réussi, est mince et le champ artistique exploré totalement absent. Tout en devenant emblématique de ce que propose la Biennale, foire d'art où l’on prend davantage plaisir à interagir avec les œuvres, plutôt qu’à prendre du plaisir à les regarder et à se questionner, histoire de sentir, et ressentir même mystérieusement, l'effet produit.
Alors, au détour d’une cloison, en ralentissant le pas pour ne pas se retrouver dans la cohue de ces faux regardeurs à smartphone, on tombe sur… des sons. Des installations projetées en boucle par un appareil à bobine. Et le temps de quelques secondes la beauté et l’évidence jaillissent ensemble, comme les paradigmes idéaux d’un art contemporain dans l’instant.
La série « Pulse » est une œuvre multiformes du cambodgien Sopheap Pich. Ses sculptures d’ordinaires monumentales, sont en matériaux de récupération, réalisées selon des méthodes traditionnelles. Avec Pulse, il réussi un dialogue entre art plastique, architecture et l’art sonore, le tout dans une installation épurée particulièrement sensible. La présence de « l’outil » (la sculpture présente et exposée dans l’espace des peintures) qui lui a permis de « peindre » les œuvres trouble et augmente une réalité dont le silence relatif n’aurait pas déplu aux disciples de Cage, John Cage …
Puis entre deux espaces d’installations, une image incongrue à faire, et ce fut drôle lorsque à deux visiteurs, nous nous sommes disputés ce cliché avec une autre « photographe ». Le décalage et l’évidence de ce qu’elle nous racontait frappaient nos yeux désireux de voir autrement cette biennale bien trop sage !
Il faudra attendre beaucoup, pour retrouver des sensations et le sentiment d’être clairement en présence d’une œuvre d’art et pas d’un travail d’un étudiant de dernière année, comme c’est le cas avec l’installation de Bernardo Oyarzún qui se nomme : WERKEN. Une forêt de masques rituels Mapuche (les amérindiens du Chili discriminés) est entourée des noms des familles Mapuche effacées par l’administration chilienne. Sans connaître l’histoire, l’œuvre est saisissante de vérité. Ces masques sont autant de visages dont l’identité se révèle alors que leur rôle premier est de se dérober de notre regard. La liste qui défile autour des masques nous apparait clairement comme une liste administrative froide et implacable. L’association lumineuse et l’éclairage des masques donnent à l’ensemble une drôle de sensation : celle d’être vu, observé, épié autant que de se sentir celui qui épie, observe et regarde. Le trouble nait de cette ambiguïté : nos identités multiples, métissent aussi nos âmes.
La suite de l'aventure lacustre demain…
Richard Maniere le 27/11/17