Le premier jet de Mulatu l'Ethiopien
Sorti en 1972, soit deux ans avant le coup d'état qui allait priver l'Ethiopie de musique pendant plus d'une décennie, grâce à "l'aimable Mengistu", le Mulatu of Ethiopia est un genre de disque fondateur qui sonne encore vraiment d'actualité aujourd'hui. En 2017, ces 7 titres résument en 30 minutes une démarche avec ses patterns rythmiques (et atmosphériques) particuliers soutenus à la flûte, aux sax, à l'orgue et au vibraphone par le compositeur lui-même. Et, miracle des réimpressions, pour que cela sonne autrement, le label vous offre la version mono couplée au pressage original.
Né à l'ouest de l'Ethiopie, Mulatu se destinait à devenir ingénieur du son, mais ayant d'abord déménagé au Pays de Galles, puis à Londres, c'est vers la musique qu'il se dirigea finalement, devenant ensuite le premier étudiant noir de la fameuse Berklee School of Music de Boston, pour y parfaire l'apprentissage conjoint du piano et du vibraphone. De la fin des 60's au début des 70's, il fit de fréquents voyages à NewYork pour y enregistrer avec des musiciens de session versés ne rythmes latinos, des Cubains et des Vénézuéliens. A bien les écouter expérimenter, il se décida à inventer son propre idiome musical qu'il baptisa Ethio-jazz.
“J'ai utilisé pour cela les instruments européens, mais en partant des structures éthiopiennes pour créer des mélodies, en me servant de pianos et de contrebasses. Et cela a fonctionné parce que j'ai fait bien attention à me servir des modes éthiopiens, sans jamais en perdre le feeling. "
L'Ethio-jazz de Mulate a ceci de particulier, qu'à l'inverse des autres musique du cru, il est d'abord strictement instrumental. Ensuite, son mix instrumental est aussi particulier avec des influences funk, comme sur la wah-wah de Munaye, ou le tempo de Chifira tenu à la fois à la rythmique et au sax, voire la flûte flottante de Mascaram Setaba; tout comme les rythmes afro-cubains de Mulatu et Kasalefkut-Hulu. Les fondus à l'oreille éthiopienne y entendront la flûte locale washint comme lesdifférents vents de Kulumanqueleshi. Tout cela joint à des rythmes mélancoliques mineurs et des claquements de mains, venus tout droit de la musique d'église orthodoxe éthiopienne. A noter que les mélodies sont toutes construites sur des gammes pentatoniques ( 5 notes) propres à la musique éthiopienne.
Trois facteurs sont à noter dans le succès de Mulatu : le premier c'est l'intérêt que les diggers ont mis à exhumer ses albums audébut des années 90, la sortie duVolume 4 de la série Ethiopiques de Francis Falsetto (Ethio Jazz & Musique Instrumentale, 1969–1974.), et enfin, pour la plus marge audience, l'emploi des ses titres dans le Broken Flowers de Jim Jarmusch de 2005 où l'on peut entendre justement Mascaram Setaban dont la première version est issue de cet album. Parce qu'en fait, celui-ci s'avère la porte d'entrée idéale à son œuvre par l'éventail musical déployé qui va du funk au jazz en passant par la musique cinématique.
L'achat, par les plus fortunés d'entre vous, de la version en 3 LP vous permettra de suivre très fidèlement l'évolution du processus de création de cet album avec des versions alternatives de 4 titres : trois de Mascaram Setaba, trois autres deKulunmanqueleshi, deux de Kasalefkut-Hulu, et une de Munaye. Là où les expérimentations en studio des pré-mixes voient tour à tour certaines avec les vents en avant, d'autres avec les percussions au premier plan; toutes propres à jouer avec les motifs et les mélodies. On y entend surtout le leader, sachant exactement ce qu'il cherche pour mettre son Ethio-Jazz au point diriger les musiciens avec des instructions très précises sur la façon de jouer les accords et les lignes de basse.
Depuis 2007 Mulatu, beaucoup de gens se sont intéressés à l'Ethio-jazz pour ses particularités finky et ses atmosphères. il n'y a qu'à voir les participations de Mulatu avec les Heliocentrics et le Either/Orchestra de Boston, comme tous les emprunts effectués par aussi bien Nas, Damian Marley, K’naan, the Gaslamp Killer ou Four Tet. Une question de cadence particulière, peut-être; Mais qui trouve son origine sur ce disque vieux de 45 ans. Un indispensable de toute discothèque.
Jean-Pierre Simard le 18/10/17
Mulatu Astakté - Mulatu of Ethiopia - Worthy Records