Les géniales émanations toxiques du Ooz de King Krule

Où trouver, au sein d'un même album, les influences croisées des Lounge Lizards, de Baxter Dury, de Soul Coughing et de Kanye West ? Tout bonnement sur The Ooz, dernier et génial album de King Krule l'alias d'un Archy Marshall qui balance la purée grand large, entre le rap de Biscuit Town, le punk de Dum Surfer et même le rock’n’roll de Lonely Blue.  Il n'y manque que les touches électro affirmées pour arriver au disque cross-over parfait. Mais, de peu…

A 24 ans, le musicien anglais et producteur King Krule sort son troisième album studio The Ooz, un projet de 19 titres qui s’inscrit dans la démarche développée précédemment par le kid londonien. Album complexe de crooner post-atomique qui taillerait dans le vif des courants musicaux actuels pour mieux dire ses angoisses, sa folie, avec une poignée d'adjectifs pour résumer sa démarche :  étrange, alambiquée, fastidieuse, éblouissante et désespérée. The OOZ se traduit littéralement par l'”écoulement”. Tout ce qui se dégage de notre corps chaque jour, ce qui suinte, ce qu’il y a de plus répugnant à trouver dans nos très imparfaites enveloppes. De tout ce dégoût, ( je vous fait un paquet cadeau ? ) King Krule sublime la laideur, y piochant une beauté malade, inouïe et surréaliste, incarnation de la fameuse rencontre sur la table de dissection d'un parapluie et d'une machine coudre. “Is there anybody out there?” demande-t-il même sur le morceau éponyme.

Assez tranquille, le King Krule qui a décliné une collaboration avec Kanye West. Au journal New York Times avec lequel il s’entretenait, il a précisé : "Tout le monde dans mon cas aurait accepté… Mais je ne pouvais pas être dérangé." Une phrase qu’il justifie en expliquant la pression que cette éventualité aurait fait peser sur lui… 

L’image mentale de crooner évoquée plus hautain citant Baxter Dury, n’est pas avancée au hasard. Car des multiples saxophones (SublunaryLonely Blue) aux cadencées batteries (Midnight 01 (Deep Seas Diver) ), King Krule invoque les codes et textures d’un jazz parfaitement intégré (made in Lounge Lizards), comme en symbiose avec la guitare et la voix si singulière du chanteur/songwriter. Nul besoin de s’essayer à de multiples styles comme sur son précédent effort (à la Beck) : multipliant les rythmes et les mélodies au sein d’une unique dynamique, Marshall parvient à se renouveler sans ennuyer ni décevoir, et ce jusqu’à la sublime ballade de conclusion La Lune (en français dans le texte), se permettant même quelques délicats décrochages contemplatifs en chemin (l’outro brutale et surréaliste de A Slide In (New Drugs), l’ouverture instrumentale de The Cadet Leaps). Et là, on retrouve le gumbo blues-rap-free de Soul Coughing. 

Archy Marshall creuse la bizarrerie jusqu’à y trouver la beauté, convoque le grotesque et l’affreux jusqu’à y trouver une forme d’addiction. LogosCadet Limbo, Czech One: toutes ces ballades down-tempo sonnent le glas de l’ancien King Krule. De 6 Feet Beneath the Moon ne reste qu’une mention dans l’interlude Bermondsey Bosom (Right), présent pour apporter structure et cohérence à The OOZ. A la différence qu'ici, il joue dans sa propre catégorie.

Après le succès critique de son précédent opus, sorti en 2013, qui lui a valu la reconnaissance de tout le milieu et même les faveurs de Beyoncé, Marshall a choisi de quitter New York pour revenir à son Londres natal. Pendant trois ans, c’est chez sa mère qu'il s'est enfermé pour écrire ces 19 morceaux. "Voyager autant, jouer autant, jouer un personnage, cela m’a rendu plus sombre. J’ai l’impression que j’étais trop jeune, j’ai foncé la tête la première pour essayer de me tailler une carrière. Ça sonne 'cliché' mais je pense que je me suis un peu éloigné de mes origines le temps d’un moment."

Hyper sensible et maniaque, vous avez là, le dernier journal du Brexit. Un Londres qui fuit de partout. La fuite du temps versus les fuites toxiques. Et hop, un petit coup de dialectique et vous avez le propos cerné, sérié, emballé. The Ooz, un truc aussi implacable qu'imparable. Comme disait Stéphane Machin : un coup de dès … jamais n'abolira le hasard.

Jean-Pierre Simard le 16/10/17  

King Krule - The Ooz- XL Recordings