En quête des ombres disparues avec Thomas Zamolo
De toute évidence, ce qui est exposé à la Little Big Galerie a la douceur chromatique des gris tendres et des blancs neigeux plus gris que blanc, résultat du film Polaroid grand format, qui donne aux sels d’argent cette tonalité romantique et légèrement passée des objets et des lieux qui ont fui le temps, après l’avoir traversé.
Plasticité poétisée de la présence d’un monde, d’une réalité, celle d’un paysage, d’un corps, d’un ciel, au dedans ou au delà de son sujet, un décalage séduisant crée un charme, parce qu’il intègre une représentation physique du flux du temps et, qu'en même temps, il le dépose sur l’émulsion, par un effet d’argent insolé qui distancie et intègre le paysage, la scène à elle même. Sépia vaut mieux que deux, tu l'auras !
D’origine française, déjà danseur et chorégraphe, attaché à la lumière, Thomas Zamolo est assez tôt séduit par l’instantanéité des films Polaroid. Là où une magie séduit: combat de douceurs et de séductions, - de déceptions aussi - qui permet au photographe de se confronter à une émulsion rétive à la maîtrise, mais hyper alerte et, paradoxalement, assez lente pour induire qu’une opération chimique peut fixer l’instant construit patiemment. Il n'y a qu'à voir ses compositions en mosaïque, réalisées à la chambre 10x15 et 20x25, gros appareils avec châssis en rapport. Mais l’homme est connecté, il se laisse impressionner par la mathématique irrationnelle du hasard, le cheminement de sa sensibilité à la lumière et à son rendu par le film Polaroid grand format. Le gout de la performance, de l’unicité de chaque image, de cette lumière à sculpter, apprivoiser, coucher sur le papier. Un genre de déesse immortelle qui va le conduire sur des chemins électriques dont The Dark Knight of the Soul, Animal Instinct précisent l’attirance, puis, avec Minimalism, négocie la rupture.
Il déclare : « Fasciné par le film instantané et ses possibilités je me suis lancé dans l’exploration des différentes techniques et sujets qui m’attiraient. Je ne suis pas le genre de photographe qui travaille avec le même appareil et le même film toute sa vie. Je suis trop infidèle pour cela et trop excité par le potentiel que ce médium peut offrir.» Puis : « Depuis notre première rencontre, le film instantané et moi nous sommes confrontés l'un à l’autre. Je réalise aujourd’hui que cette passion, mêlée à la frustration, au défi et à la fierté est le fruit de notre collaboration. Par moments, je le maltraite. Lui, en revanche, me montre sa puissance artistique, nourrissant ma curiosité pour le pousser encore plus loin.»
Ici, Thomas Zambo expose sa double série Lost Shadows + Not Yet, Already Gone beaucoup plus sage, comme si une révolution intérieure avait anoblie définitivement sa quête et qu’il s’accorde de recevoir, de recueillir ces paysages diaphanes, dilués dans une lumière étale, égale, sans ombres véritablement. Vivant en Suède depuis les années 2000, est-ce ce climat accordé aux lumières du Nord qui aurait adouci sa recherche d’équilibre et de réalisations ?
Cette opération sensible donne au photographe sa matière sensible et le séduit physiquement, dans une danse où son double se joint à l’invisible dialogue de l’amour et du cosmos, de la terre et du ciel, de l’eau et du feu : le sel de la vie.
La paix sur l'onde des grands lacs rappelle Le couteau dans l'eau de Polanski. L'hiver y porte son manteau de neige dans la forêt de sapins, sous un ciel gris agrandi. On y part en quête de quelque chose, d'un événement. Mais non, tout se fond admirablement dans l'émulsion pour atteindre une fragilité plastique. Parfois, l'effet solarisant accuse un tempo lent, un temps arrêté, comme retourné sur lui-même. Les accidents de l'émulsion font parties intégrantes de l'image, une forme de résilience, dans cette capacité d'absorber toute perturbation et de glisser dans et sur l'image. Si bien que le regard répond à l'invitation de se promener, de marcher dans le paysage ou de glisser sur l'eau.
Thomas séduit parce qu'il invite à le suivre, à marcher dans ses pas, et que cette promenade accompagnée est assez calme, silencieuse, amicale. Une grande douceur, un flocon de neige, peut-être celui de Johannes Kepler ? une forme de lenteur due à un mouvement arrêté d'où s'évade la possibilité du monde. Un rêve précis qui, fixé, se met à résister avant de disparaitre, dans une façon singulière de marquer sa présence. Toute une métaphysique survient, liée à la grande poésie de ce compteur doué de silence et radieux par ses mains.
Films 803 format 8x10', et film sepia peel apart type 100.
Pascal Therme le 14/10/17
Lost Shadows & Not Yet, Already Gone de Thomas Zamolo ->26/11/17
Little Big Galerie 45, rue Lepic 75018 Paris
Pascal Therme vit et travaille à Paris. Il y conçoit ses reportages sur les expositions et la mode.