Matana Roberts, de la liberté d'être libre
Quand Matana Roberts chante, on croirait parfois entendre les étendues désolées esquissées par Nico (et produites par John Cale), mais dès qu'elle souffle dans son alto, elle balaye tranquille tout le spectre du jazz, d'hier à demain.
Depuis cinq ans, la saxophoniste Matana Roberts mène une œuvre visionnaire qui redéfinit l’histoire afro-américaine et la projette dans l’actualité la plus singulière. «Je suis un hybride de nombreuses traditions américaines. Le jazz est un élément parmi tant de ma personnalité. Ce qui me distingue, c’est l’énergie du moment, l’essence qui me fait avancer.»
Baptisé Coin Coin, du nom d’une esclave de Louisiane émancipée en 1778 et selon le surnom que donnait son grand-père à la petite Matana, ce grand récit visite les fantômes de l’Amérique, traversant tout le spectre sonore de la afro-américain et au-delà. Du gospel d’où elle puise certaines thématiques au postrock, toutes les musiques ont droit de cité ; chacune interpelle et interroge l’identité composite des Etats-Unis, la question existentielle en toile de fond de ce puzzle en forme d’autoportrait.
A partir de ces multiples fragments, temporels et esthétiques, elle décompose et recompose une bande-son qui ressemble à nulle autre. Plus elle brouille les pistes, mieux elle nous éclaire sur les vrais enjeux à venir, bien au-delà des visions en noir et blanc. «Je suis dédiée à la création d’une expérience unique et très personnelle d’un travail sonore qui rappelle aux gens de tous horizons le but à atteindre : levez-vous, faites entendre votre voix, quelles que soient les différences créées à partir de simples étiquettes de la classification intellectuelle. Dans mon monde idéal, l’idée de la "différence" est une illusion destinée uniquement aux fins de la division économique moderne et de la hiérarchie intellectuelle élitiste. A travers mon travail, je souhaite opposer la créativité au mépris.»
Jean-Pierre Simard - infos Jacques Denis)