Le Kosovo d'Ester Vonplon
"Wenn das wetter nicht mehr kaputt ist, werden wir spazieren gehen"*
* Quand le temps n'est pas cassé, nous allons marcher
Ester Vonplon est une photographe suisse qui fait partie du collectif AM Projects, avec entre autres le japonais Daisuke Yokota ou le français Olivier Pin-Fat. Point commun de ces photographes : un réalisme à la fois total et singulier. Tout est vrai dans leurs photos, aussi tout doit-il être retravaillé pour être exposé au hasard de la vie. Car le réel, tel quel, se dérobe. C'est singulier de le dire, mais une photo "réaliste" échoue pour eux à montrer le réel. Et même le trahit. On a une très bonne idée de cette esthétique (qui est aussi une morale) en regardant le photo-reportage (un genre on ne peut plus classique) qu'a fait Ester Vonplon au Kosovo en guerre pour l'indépendance. Elle en a tiré la matière d’un livre magnifique : "Wenn das wetter nicht mehr kaputt ist, werden wir spazieren gehen", qu’on traduira brutalement par : quand le temps n'est pas cassé, nous allons marcher)
Ester Vonplon développe ainsi depuis 2006 des séries de photographies qui semblent surgir d’un autre temps et dont la singularité serait l’effacement des êtres, des lieux et des choses, derrière l’accident et l’imperfection, les effets de matières et de flous, les voiles monochromes ou, au contraire, de puissants contrastes. La Nature y règne en maître souvent sévère, toujours altier, un peu séparé. On est très loin du pays d’Heidi, dans ce ravin au nom étrange de Ruinaulta, dans l’est de la Suisse, où elle a pris les photos, visiblement ensorcelées, empreintes de magie, qui sont la matière par exemple d'un autre beau livre : "Corv dalla Ruinaulta", le corbeau, au sort malheureux, mais qui n’a rien perdu de sa dignité et de son aura (même on dirait tout le contraire) de la Ruinaulta. Conjureur de sort.