Looking Around : classique, jazz, impro d'un seul tenant

Looking Around réunit Christian Wolff et Michael Pisaro, deux figures notoires des musiques expérimentales américaines. Bien sûr, ça attise la curiosité, mais rien ne nous y prépare vraiment car, entre impro, avant-garde et jazz versus classique,  ça étonne vraiment.

Christian Wollf, piano performance

Un piano (Wolff), une guitare (Pisaro), plus quelques objets parfois (sifflets, pierres), sans effets, sans électricité, sans silence, sans techniques étendues (très peu en tout cas), qui font quoi ? qui semblent improviser. Le plus étonnant dans ce disque est certainement son air familier : on a l'impression d'entendre les prémisses du réductionnisme, ou encore les récentes publications d'AMM en duo (c'est l'effet du sifflet qui interrompt le piano ça, ça me fait tout de suite penser à Tilbury et ses appeaux). Il n'y a pas vraiment de silence, mais c'est assez espacé, le rythme en est souvent absent, les improvisations sont généralement atonales, même si on peut ressentir quelques fondamentales de temps à autres, et le duo se permet quelques explorations sonores à l'intérieur du piano, ou avec un ebow.

Michael Pisaro

Quelle est la part d'improvisation, de composition, d'indétermination, de hasard ? C'est ce qu'on se demande, car il y a quelque chose qui fait dire qu'on est face à autre chose que de l'improvisation libre. Ca y fait penser, sans aucun doute, mais ça ne ressemble à rien en particulier (sauf peut-être aux improvisations de Wolff...). Ca paraît structuré avec certains modes de jeux, certaines sonorités, et d'autres paramètres vagues et ouverts ont du être prédéterminés sur certaines périodes, à moins qu'ils n'aient écrit une partition graphique, ou que ce soit une composition ouverte.

Mais ces méthodes peuvent se retrouver dans beaucoup "d'improvisations libres" et Wolff et Pisaro n'ont pas la même histoire, la même expérience et les même intérêts que Derek Bailey et Schlippenbach.... Leur expérience d'explorations complètement différentes, de réflexions esthétiques sans rapport font que leurs improvisations ne sonnent pas complètement comme de l'improvisation (en tant qu'esthétique).

Wolff et Pisaro proposent ici deux pièces ouvertes à des explorations instrumentales personnelles. Un jeu sur l'attaque, sur les résonances, sur le silence, sur les mélodies et l'atonalité, sur le "bruit" des instruments après la musique électroacoustique, mais aussi sur le temps. Ils utilisent tous les deux un langage instrumental qu'ils développent pour l'occasion (ou qui s'inspirent d'improvisateurs). Sans rentrer dans les détails, Looking Around fourmille de choses parfois très convenues venant de Pisaro ou de Wolff, mais inattendues dans ce cadre. Quoiqu'il en soit, oui il se passe une foule de choses durant cette heure, des choses toujours à la frontière de l'inattendu et du familier, du commun et du déroutant. On connaît cette musique, mais on ne s'y attend pas, et on ne sait jamais vraiment comment elle va se dérouler. Elle rebute et elle attire en même temps : elle déroute par son aspect familier, mais on n'y revient toujours avec l'impression d'avoir raté quelque chose qu'on veut saisir, d'avoir oublié quelque chose, et on se laisse bercer à nouveau par cette étrange familiarité.
Toujours le rêve étrange et pénétrant de Baudelaire, mais adapté à 2016 …

Friedrich Angel

CHRISTIAN WOLFF / MICHAEL PISARO : Looking Around (CD, erstwhile, 2016)

Deux extraits : ici