Miles arpente les rues de New York… On The Corner
Pour les amateurs de funk-jazz, On the Corner est une pierre angulaire. Sorte de jalon qui fait écouter Sly, James Brown ou Hendrix d'une toute autre manière. Seul jazzman à jouer à leurs côtés dans les grandes salles et les festivals, Miles y triture le genre à sa manière, en déconstruisant et en remontant par d'autres biais. Jazz un jour… killer toujours!
Comment envisager sonorité plus sauvage chez Miles ailleurs qu'ici avec les sons de guitare distordus et le tempo anémique des deux batteries en présence qui soutiennent le riff de basse sur deux notes du morceau d'ouverture d'On the Corner ? (réponse sur Dark Magus, le live de 74) Avant même que le trompettiste ne rentre dans le vif du sujet- et du morceau-, le titre s'est effondré au milieu - pour dévoiler deux paramètres qui voyagent de concert : un son aussi urbain que crade à dessein et l'alchimie live du groupe qui parle son propre langage (inaudible à beaucoup, magique pour certains).
Le groove d'acier trempé repose uniquement sur une trompette qui bêle et quelques phrases de soprano (merci Dave Liebman) qui dialoguent avec la guitare branché sur la distorsion de John McLaughlin. La basse de Michael Henderson tient le rythme de manière minimaliste et hypnotique avant que les claviers n'entrent en course : avec Herbie Hancock et Chick Corea, puis avec le synthé d'Ivory Williams. Finalement Colin Walcott arrive à son tour au sitar électrique et l'on entend pas moins de cinq batteurs (Al Foster, Billy Hart et Jack DeJohnette), avec un joueur de tablas et Mtume aux percussions.
On mate au passage la pochette de Cork McCoy, responsable, après Mati Klarwein (Bitches Brew et Live Evil) de celles de On the Corner, In Concert et Big Fun).
L'album est une suite de quatre titres, dont le thème éponyme sert de continuum espace-temps au fil des morceaux. Au bout de 20 minutes, un petit coup de lyrisme davisien remet en forme Black Satin. Le départ en est donné par un tabla pour installer ensuite un motif mélodique sur huit notes qui sert d'articulation. Carlos Garnett et Bennie Maupin remplacent alors Liebman, Dave Creamer, McLaughlin, et le groove décolle, en laissant traîner de quoi offusquer les incertains avec des cloches qui résonnent dans le fond. Mais le répit est de courte durée, puisque Miles et sa machine à rythme balancent le funk sale qui les caractérise alors, même si les amateurs du genre vont avoir du mal à s'y retrouver avec des signatures de temps altérées et autres figures modales qui démarrent et finissent nulle part, jusqu'à ce que le groove meure de lui-même. One and One démarre qui remet les choses au point : c'est du jazz qui a emprunté les sons de la rue et du ghetto qui se joue sur Helen Butte/Mr. Freedom X, là où les guitares et les cuivres sont déviés par la basse d'Henderson et le jeu de cymbales sinueux d'Al Foster.
Cet album est, pour certains critiques l'album, le plus proche du son de la rue jamais enregistré par Miles. A ceux-là, on répondra qu'ils n'ont pas du écouter ses derniers enregistrements avec des rappers où que la simple écoute de Pangaea doit les faire frémir d'horreur. Ceux-là, on les laissera où ils sont et on citera ces mots pris dans l'Introduction à l’écoute du jazz moderne :
« La musique est une danse rituelle avec des guitares autour des percussions africaines et du tandem basse/batterie, zébrée des éclairs du sax ou de la trompette. » Franck Bergerot,
Et on notera comme gag, que Miles qui n'aimait pas dédire, à sûrement inventé le free-funk pour éviter de jouer du free-jazz…
Jean-Pierre Simard
Miles Davis- On the Corner - Columbia Records Remaster
-> et pour les fondus de la prise - en dessous, vous avez la pochette du coffret 4 cd's de l'intégrale des sessions.