“Vitiis nemo sine nascitur"
"Vitiis nemo nascitur sine" (Personne n'est né sans fautes) est un projet qui joue avec l'algorithme de Google pour la recherche d'images. Si le procédé est simplissime, - vous pouvez en faire l'expérience vous-mêmes, - le résultat est glaçant. Partir des images emblématiques de la guerre et demander à Google toutes les images qui leur sont liées visuellement nous laisse stupéfaits. (Nous avons longtemps hésité avant de publier ces photos : en principe, nous évitons de le faire, parce qu'on pourrait hélas les multiplier à l'infini, jusqu'à faire de chaque journée un jour de peine et de désespoir, sans que cela aide pour cela à changer quoi que ce soit. Mais dans le cadre de cette expérience que nous propose Navin Kala, il nous semble que faire appel à ces photos de tragédie et d'horreur peut apporter quelque chose de neuf. Et elles sont le propos même de cette réflexion sur ce que nous sommes capables de voir. Et plus encore, sur ce que nous ne voulons pas voir.)
La puissance du photojournalisme repose aussi sur des aspects esthétiques qui rendent une image forte à nos yeux : la couleur, la composition, le cadrage, la texture, la densité. En décontextualisant la réaction émotionnelle que nous ressentons devant ces images - et cela, un algorithme le fait très bien, qui ne ressent rien - pour n'en retenir et décomposer que les côtés formels, Google nous rappelle involontairement que tout est lié dans nos vies. Ce n'est certes pas son message. Mais l'étonnement qu'on ressent à voir ces photos associées suivant des critères logiques tient du scandale : mais oui, il y a un rapport ! Du moins, on "le voit", même si tout en nous nous pousse à vouloir hurler que non. Que ce n'est qu'une malheureuse coïncidence. Ou des incongruités.
Ce n'est pas la thèse de Navin Kala, l'auteur de ce travail, qui enseigne les arts visuels à l'école Badi Asha à Bénarès, Inde. Pour lui, tout se tient : "La stabilité sociale dans un côté est construit sur la souffrance des masses dans l'autre. Personne ne naît sans défauts. Pour chaque petit aspect de notre vie, il y a un lien direct avec un endroit éloigné, qui est en quelque sorte le plan politique, culturel ou économique requis en vue d'offrir à certains un niveau de vie élevé. Pensez aux Africains qui travaillent sous la menace des armes pour aller chercher les terres rares qui font marcher votre smartphone. A la souffrance d'enfants-esclaves cachée derrière une simple barre de chocolat. Aux ateliers surchauffés du Bangladesh où travaillent les gens qui fabriquent les vêtements que vous portez. La plupart des rituels quotidiens dans la vie moderne sont nourris par la douleur de quelqu'un."