Entretien avec Irmin Schmidt : yes we Can, et plus encore!

La vie d'Irmin Schmidt aura été une suite ininterrompue de subversions des codes musicaux que révèle l’intégrale Electro-Violet. Les douze albums vinyles qui viennent de sortir sous son nom complètent l’inestimable discographie de Can, le groupe allemand qui aura tout tenté pour s’affranchir des limites du rock, en y infusant l’héritage classique et contemporain, la musique ethnologique et le jazz.

Can avec Damo Suzuki, Jacky Liebezeit, Irmin Schmidt, Holger Czukay et Michael Karoli

Can avec Damo Suzuki, Jacky Liebezeit, Irmin Schmidt, Holger Czukay et Michael Karoli

Le claviériste fondateur du groupe aura, avant de fonder Can, gravi tous les échelons du musicien contemporain : de la composition au statut de professeur de piano et de concertiste, de la conduite d’orchestre à la composition avec le renfort de professeurs nommés Stockhausen ou Ligeti. Puis, se lançant dans les musiques de ballet ou de théâtre, il y trouve vite le succès à Aix-la-Chapelle en sonorisant de manière concrète un texte de Beckett. Mais l’idée germe vite avec son collègue Holger Czukay (croisé dans les cours de Pousseur) de monter un groupe qui s’affranchisse des limites connues de tout registre musical, et sonne contemporain pour découvrir de nouveaux territoires. Can, avec Jacki Liebezeit à la batterie, Irmin Schmidt aux claviers, Holger Czukay à la basse et aux arrangements et Michael Karoli à la guitare et au violon, et avec deux chanteurs Malcolm Mooney et Damo Suzuki, tiendra le pari de 1968 à 1978 : avant de se séparer pour divergences d’opinion, mais après avoir quasi inventé la télépathie à force d’improvisations collectives. Entre temps, plusieurs monuments de l’histoire du rock (et au-delà) avec Monster Movie  et son You Doo Right , un drone de 20’, Tago Mago et sa relecture du contemporain à l’aulne des musiques ethniques avec le gagaku (musique de cour nipponne ancestrale) de Mushroom, Ege Bamyasi avec le tube réellement improbable Vitamin C., la déclaration ambient ( 3 ans avant Eno) de Future Days ou les polyrythmies des albums suivants comme Soon over Babaluma ou Slow Motion.

Subvertir le registre élevé de la musique (classique par le rock) ou faire rocker la musique contemporaine, les deux faces d’une même médaille et le parcours renouvelé de Schmidt, post – Can qui va, tout en s’engouffrant dans les musique de film et de télé, pour vivre, varier les plaisirs etjouer du jazz métisse avec Bruno Spoerri sur Toy Planet, faire de la jungle avec Kumo et même, pour boucler l’histoire, écrire un opéra Gormenghast qui synthétise ses travaux d’approche de la musique contemporaine par un traitement des voix résolument novateur ( qui lui prendra deux ans d’écriture.)

C’est le sujet de Electro Violet, coffret rétrospective de 12 albums qui nous occupe, avec Toy Planet (1981), Musk At Dusk (1987), Impossible Holidays (1991), Gormenghast - A Fantasy Opera (2000), Masters of Confusion (2001), Axolotl Eyes (2008) ; ainsi que ses bandes originales : Film Musik AnthologyVol. 1 (1994), Film Musik AnthologyVol. 2 (1994), Film Musik AnthologyVol. 3 (1994), Film Musik AnthologyVol. 4 (2009), Film Musik AnthologyVol. 5 (2009), Film Musik AnthologyVol. 6 (2015). Une somme.

Entretien

Déjà avec Can, vous aviez créé beaucoup de musique de films, aujourd’hui on inclut vos musiques dans de nouveaux films (Inherent Vice), pourquoi à votre avis ?
Irmin Schmidt : Parce que c’est une incitation au voyage qui fonctionne avec une autre narration. Et cela, depuis une trentaine d’années et une centaine de films plus tard, j’adore toujours poser ma musique pour y dire quelque chose… 

Alors la bonne recette d’une BO, c’est quoi ?
Irmin Schmidt : J’arrive quand le montage est terminé et regarde comment se déplacent les acteurs et le rythme des images. Ensuite, je note des idées desquelles je discute avec le metteur en scène pour savoir quelles sont ses attentes. Ensuite, on discute tous les deux pour savoir où va se poser cette nouvelle narration musicale à l’image et comment elle relaye le discours du film.  Généralement mes propositions sont retenues d’entrée, mais je ne m’offusque pas si on m’oblige à faire autre chose (rire siamois). Pour Palermo Shooting (2008) de Wim Wenders, dans lequel le personnage principal est continuellement envahi de musique pop, j’ai longtemps réfléchi à quoi proposer dans les interstices non rock du film. Et j'ai eu une idée qui d'abord, m'a semblée saugrenue, mais qui a finalement bien fonctionné, celle de faire jouer du Bach par un accordéon napolitain. Cela a été très compliqué à mettre en place, mais le résultat a été à la hauteur de nos attentes.

On vous tient aujourd’hui pour un passionné de cuisine … le rapport entre musique et cuisine ?
Irmin Schmidt : Pas trop de sauce, hein ! Après, tout est question de couleurs. Quand je vois Hildegarde dans la salle de bain de notre maison de Roussillon, je me dis que j'ai un Bonnard en face de moi. Comme quand je me promène à l'automne aux alentours, je déambule dans un Sisley ou au printemps dans un Cézanne.

Jean-Pierre Simard

 Irmin Schmidt, coffret 12 albums vinyles Electro-Violet, (Spoon-Mute Records)