Le Rodéo de Kriki secoue la poussière chez Claire Gastaud

Les peintures de Kriki sont inventées, hyper élaborées et richement colorées. Elles mettent en scène des personnages emblématiques et allégoriques dans des rôles énigmatiques. La peinture de Kriki résiste à notre premier regard, c’est une pensée rhizomique qui fonctionne par concaténation ; passant du global à l’intime, du sensible au subtil. Ces scènes denses, visiblement narratives et oniriques, semblent impénétrables.

Kriki, Auktion, 2022 — Huile sur toile — 195 x 152 cm Courtesy of the artist & Galerie Claire Gastaud, Paris

Elles renferment des sédiments d’affects récurrents propre à l’artiste : son passé de graffeur, sa punkitude, sa passion pour le monde végétal, les migrations humaines et leurs folklores, ou bien encore son rôle d’homme et d’artiste dans un monde ultra connecté…

Kriki, Familias, 2024 — Huile sur toile — 200 x 133 cm Courtesy of the artist & Galerie Claire Gastaud, Paris

L’œuvre éponyme de l’exposition, « RODEO », nous montre au plan principal un taureau ailé à la tête en forme de tube de peinture. Cette bête sauvage symbolisant ici la peinture difficile à dompter, porte sur son dos l’artiste résistant à de multiples ruades. Comme une métaphore de la vie, le principe même du « RODEO » étant de garder l’équilibre le plus longtemps possible ! Dans ce grand format, d’autres protagonistes se côtoient, ils sont tous d’autres représentations possibles de l’artiste : l’un debout sur un baril de pétrole (l’énergie), l’autre chutant au premier plan (clin d’œil aux figures tombées de Jean Hélion, artiste qu’affectionne Kriki). Un quatrième personnage mis à nu s’exhibe sous les projecteurs d’une galerie, derrière les talanquères d’une arène de village. Le sol est couvert de traces de peinture, une matière que Kriki a transféré des murs de son atelier à ses propres toiles, l’artiste essuyant régulièrement ses pinceaux sur ses œuvres en cours, technique que l’artiste utilise depuis plusieurs années déjà. On retrouve cette « Matière Trace » dans différentes œuvres de l’exposition, formant ça ou là un sol, une rivière, une nuée ou bien encore un Cloud, comme dans le tableau « FAMILLIAS ». Ce grand format représentant un homme, un père, avec pour bras et jambes les membres de sa famille.

Jouant sur le double sens du mot « membre », la figure tutélaire s’apparente ici à un héros mythologique. Derrière lui se trouve un temple grec posé sur des gigantesques racines, sûrement celles d’un arbre généalogique ! Faisant face à ce héros mutant, une muse sphynx surplombe un tas de boudins de peinture fraîchement sortie des tubes, représentation de la matière brute grâce à laquelle nous lisons ici l’image. Un Fuzz, figure iconique inventée par Kriki dans les années 80 semble vouloir sortir de ce cadre. Fuzz que l’on retrouve couché au pied d’un SDF dans l’œuvre « RACYNE ».

Kriki, Racyne, 2023 — Huile sur toile — 120 x 120 cm Courtesy of the artist & Galerie Claire Gastaud, Paris

D’un format plus modeste, cette peinture met en scène un migrant aux pieds en forme de racines, un être déraciné. Assis sur des livres, Ilse réchauffe contre un feu à l’extérieur d’une caravane. Au premier plan, un grand Shêdu, une divinité protectrice assyrienne, vient le visiter, comme dans un dialogue onirique.

Dans l’œuvre « EUSKADY »l’artiste nous parle de folklore, celui du Pays Basque qu’il connait bien, mais la narration est ambiguë. Au lieu d’être un concours de force, les personnages, dont l’un d’entre eux a une tête de taureau (celle peut-être remplacée dans le tableau « RODEO »). Un autre plus humain lui fait face, tous deux, ils scient des tranches d’un tronc d’arbre qui retombent tels des vinyles 33 tours sur un pick up. Des sillons de croissances, aux microsillons, il est ici question d’écouter les sons de la nature. C’est d’ailleurs cette nature, qui, représentée sous la forme d’un être végétalisé, aide les protagonistes à la production des disques d’aubier. Dans cette composition le sol est couvert de traces de peintures essuyées à même la toile, en évocation aux copeaux de la sciure de bois. Un autre grand format, « AUKTION », nous parle lui de l’artiste et du marché de l’art. On y voit un commissaire-priseur représenté à la façon d’un prêtre juché sursa chaire, ordonner la grand-messe de l’art contemporain, « les ventes aux enchères ». Il est accompagné de ses sbires aux oreilles démesurées, signe d’une probable mutation de téléphonie excessive. Ce qui est proposé ici à la vente est la matière peinture elle-même, jaune, parsemée de pinceaux plantés tel des banderilles. Vers le bas de l’œuvre, un public est représenté de dos et de manière anonyme sous la forme de mosaïques, deux bras tendus agitent des paddles. Au premier plan, un grand personnage fait référence à Basquiat ; tel un ange, les dérives de son surf plantées dans le dos comme des ailes, il contemple toute la scène sa planche haïtienne sous le bras. L’écrivain et critique d’art Richard Leydier nous dit : Le monde dépeint par KRIKI nous apparait d’une densité captivante, comme un rêve éveillé, sociologique et grinçant.

Albert Faber-Catello, le 13/01/2025
Kriki - Rodéo -> 8/02/2025
Galerie Claire Gastaud 37, rue Chapon 75003 Paris

Kriki, Rodeo, 2024 — Huile sur toile — 153 x 195 cm Courtesy of the artist & Galerie Claire Gastaud, Paris