Le dernier ciel avant le prochain. Par Arnaud Maïsetti
J’apprends, en saluant, à ne plus dire « au-revoir », mais « bon courage ». Ce qui sert à dater les époques tient à ces bascules infimes, ces poignées de mains qui se dérobent, ces visages qu’on ne distingue plus du tissu, et bientôt plus de l’écran. Regarder la lune longtemps fait penser à la solitude des marées. La pensée flotte parmi tout ce qui déchire. Puis s’efface devant le désastre qui prend la place partout laissé par le vide sidérant de ces jours. Guerre partout. Et on est désarmé.
Le temps est à la séparation. Ici, on sépare le travail de la vie, pour mieux asservir l’un et rejeter l’autre dans les limbes du temps non-nécessaire ; là on sépare les corps – tolérance pour les cimetières : oh morts, que la terre, sur laquelle repose moins de corps au dehors, vous soit plus légère –, au motif de vouloir les protéger. L’isolement est la solution trouvée par le présent pour préserver le commun. Être solidaire, c’est rester seul. Les injonctions paradoxales se bousculent jusqu’à tramer la syntaxe la plus pure de toute cette phrase qui parle à vingt-heures après les hymnes martiaux.
J’apprends, en saluant, à tâcher de moins m’excuser. De cesser de conclure par « j’espère ». J’y parviens parfois.
Rêve d’une averse de feuilles — il n’y avait pas d’arbres. On tendait les bras au ciel, comme une seule prière, mais d’effroi.
Au réveil, pour chasser le délire, lire longuement les informations — se laver d’une terreur par une autre.
J’ai entendu les premiers oiseaux, ceux de quatre heures, qui disait le jour se lève bientôt, n’aie pas peur.
Hier soir, je prends à la volée le dernier ciel avant le prochain. À minuit, le pays se résout à s’enfermer de nouveau, et pour combien de temps ? Oui, c’est alors qu’il nous faudrait des armes : non pour tuer, mais pour relever toutes ces heures morte parmi nous.
La maladie comme toujours dit le monde malade de ne survivre que dans sa propre exploitation. Elle relève le pire parmi nos frères, son semblables : le chacun pour soi ravageur, ou le seul contre tous. Elle aiguise les couteaux déjà pour ceux qui s’en repaissent.
Hier soir, levant les yeux à ce qui tombait tout autour de nous, je pensais : est-on la veille, ou le lendemain de ce qui ne cessera plus ?
Le prochain ciel libre de ses mouvements n’est pas encore né — nous non plus.
arnaud maïsetti - 30 octobre 2020
Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | Carnets, Facebook et Twitter @amaisetti.