Quelle différence y a-t-il entre une dette odieuse, insoutenable, illégale, illégitime ?
Toutes les dettes publiques ne se valent pas. Faisons le point sur 5 catégories de dettes : illégale, odieuse, illégitime, insoutenable et légitime.
Une dette illégale est une dette contractée en violation des procédures légales en vigueur (comme le contournement des parlements) ; une dette marquée par une faute grave du créancier (comme le recours à la corruption) ou encore une dette assortie de conditions violant le droit national (du pays débiteur ou créancier) et/ou international.
Le concept de dette odieuse renvoie à la doctrine du même nom formulée par Alexander Sack en 1927. Selon cette doctrine de droit international, « Si un pouvoir despotique contracte une dette pour fortifier son régime et réprimer sa population […], il s’agit d’une dette odieuse attribuée au pouvoir qui l’a contractée. Elle tombe par conséquent avec la chute de ce régime ». Nombreuses sont les dettes contractées par des régimes reconnus comme non démocratiques (la Tunisie de Ben Ali et l’Égypte de Moubarak, pour ne citer que des exemples récents) qui devraient donc être annulées. La notion de dette odieuse a depuis été élargie pour inclure prêt accompagné de conditions qui violent les droits sociaux, économiques, culturels, civils ou politiques des populations (comme c’est le cas des prêts effectués par la Troïka à la Grèce).
Ces notions de dette illégales et odieuses, même si elles permettent déjà de remettre en cause de nombreuses dettes au Sud comme au Nord, sont moins larges que le concept de dette illégitime qui concerne toute dette contractée au préjudice de l’intérêt général mais dans l’intérêt d’une minorité déjà privilégiée (le « 1% » de la population). Soulignons que cette notion est utilisée dans des documents de l’ONU, des résolutions parlementaires et des autorités publiques (gouvernements et municipalités). La définition de ce qui est, ou non, légitime est bien sûr le fruit de rapports de force. Citons, parmi de très nombreux exemples possibles, les taux d’intérêts usuriers (mais légaux) que la Belgique a payés aux créanciers durant les années 1990. À qui cela profite-t-il si ce n’est à ces derniers ? De très nombreux « grands projets inutiles et imposés », le plus souvent néfastes à l’environnement et aux populations locales, sont également à ranger dans cette catégorie, tout comme les nouvelles dettes contractées pour sauver les banques sans qu’aucune condition sérieuse n’ait été posée.
Une dette insoutenable est, selon la vision limitée du FMI, une dette trop élevée pour être correctement remboursée par l’endetté. Nous retiendrons la définition élargie, et plus politique, d’une dette dont le paiement est incompatible avec le respect des droits fondamentaux de la population. Son paiement devra être suspendu pour permettre à l’État d’assumer ses obligations en matière de droits humains. Rappelons qu’il existe en droit international une primauté des droits humains sur les droits des créanciers, qui est notamment consacrée par l’article 103 de la Charte des Nations-unies. |1|
Enfin, une dette légitime serait une dette contractée dans l’intérêt général et reposant sur le principe d’égalité entre débiteur et créancier.
Ces catégories ne s’excluent pas les unes les autres. La majorité de la dette grecque, cas emblématique, est illégale, insoutenable, odieuse et illégitime.
Une dette légale peut bien sûr être illégitime (ex : les prêts de la Norvège à 5 pays du Sud conditionnés à l’achat de bateaux norvégiens qui ne correspondaient pas à l’intérêt des populations des États débiteurs et répudiés en 2005). Une dette illégale peut être légitime (ex : le budget voté en négatif à Liverpool dans l’intérêt de la population en 1984), tout comme une dette insoutenable peut être légale (ex : les garanties d’État sur les dettes de la banque Dexia qui représentent 10 % du PIB), etc.
CADTM Belgique