Français, encore un effort pour comprendre l’Iran !

Village aux environs de Zanajan. Province d’Azerbaijan, Iran. Photo Mathieu Chazal, “Chroniques d’orient”

Village aux environs de Zanajan. Province d’Azerbaijan, Iran. Photo Mathieu Chazal, “Chroniques d’orient”

Symptôme d’un parti pris hostile, ou sentiment de l’inéluctable, notre presse prend acte de la confrontation guerrière, s’étend sur les dégâts causés en Arabie et ne laisse plus beaucoup de place à la situation intérieure de l’Iran, moins encore à l’opinion des Iraniens, lesquels s’expriment d’ailleurs moins facilement. Dans ce jeu de confrontation, nous tombons inéluctablement du côté américain en dépit de nos préventions contre Trump et le régime saoudien.

Le regard porté sur l’Iran est de type colonial même si nous nous en défendons. Il fait corps avec nos analyses de la situation intérieure comme de la politique étrangère des pays musulmans que nous pensons quasi monolithiques, confondant toujours la pensée des dirigeants politiques de ces pays avec celle des populations. Ces gens ont-ils seulement une pensée ? en admettant même la présence de dissidents, nous partons du principe que les élites dirigeantes de ce type de pays sont, a priori, les mieux formées et instruites de ce pays, comme de n’importe quel de nos pays avancés. Que par conséquent ces élites forment le jugement du petit peuple et que la haine farouche manifestée par une part du clergé iranien à notre encontre est nécessairement partagée par les neuf dixièmes de la population.

Certes on entend, ça et là, dire le contraire. Des voyageurs témoignent de l’excellence de l’accueil qui leur a été fait, les plus jeunes d’un fort sentiment de complicité avec les Iraniens de leur génération. Mais qu’est-ce que ça change puisque l’ennemi est défini en amont ? Cet ennemi est "extrémiste", il est minoritaire dans l’islam et haï par la majorité…

Or, pas du tout ! Si 85% du milliard et demi de musulmans sont bien sunnites, seuls 20% d’entre eux sont des Arabes et les autres ne sont ni motivés par les problèmes de la Palestine, ni pas la rivalité entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Du reste, les Iraniens eux-mêmes sont peu sensibles au problème palestinien et moins encore au reste du monde arabe. On peut bien dire que chaque pays a les chefs qu’il mérite, même quand il n’en a pas le choix, du simple fait qu’il les tolère… C’est juste et dans le cas iranien, on dira que ce positionnement « islamiste » de leurs dirigeants est un choix idéologique approuvé en ce qu’il est censé leur éviter un trop grand isolement du reste des musulmans dont ils sont les voisins.

Le choix du chiisme et la volonté de s’opposer au leadership sunnite sont motivés par des intérêts de puissance qui n’évoluent pas beaucoup au fil des siècles. L’Iran ne veut pas s’aligner et c’est dans ce refus que le régime recueille l’assentiment d’une majorité de ses malheureux sujets. Moutons de Panurge ? oui, au même titre que les Français animés par un vieil irrédentisme hérité du village gaulois.

Cette ressemblance devrait inspirer une meilleure compréhension de la part des Français et de quelques autres Européens : de tous temps, les Iraniens se sont montrés généreux à l’égard des Hongrois et des Polonais dont ils recherchaient l’alliance contre la Russie et la Turquie. La France a été privilégiée à certains moments des dix-neuvième et vingtième siècles parce qu’elle offrait une alternative à la suprématie britannique. De sorte que la langue persane est envahie de mots français. Ainsi, leur prétendue haine de l’Occident est à géométrie variable. Tributaire de ce que nous offrons ou refusons.

Léon Mychkine, 30 septembre 2019