« Construisez des barricades, puis sauvez-vous » : les manifestants soudanais trouvent de nouvelles tactiques de désobéissance civile

sudan4.jpg

La colère contre le conseil militaire passe de manifestations ouvertes à la désobéissance civile au milieu d'une violente répression. “Construisez les barricades, puis sauvez-vous”. Le message des dirigeants protestataires aux jeunes Soudanais dans les rues de la capitale a été cohérent avec l'appel de dimanche à lancer une vaste campagne de désobéissance civile.

Initialement utilisées pour protéger le sit-in devant le quartier général de l'armée soudanaise - où les manifestants ont exigé que le Conseil militaire de transition (TMC) au pouvoir se retire - les barricades construites en briques et en métal récupérées sur les routes mêmes qu'elles bloquent sont devenues un symbole du mouvement protestataire soudanais.

Mais après que les forces soudanaises ont dispersé de force le sit-in le 3 juin, ces manifestants ont maintenant étendu leur opposition à tout le pays.

« Les barricades sont vos gardiens » , selon l'un des nombreux appels au rassemblement lancés par l'Association des professionnels soudanaise (SPA), le groupe qui a lancé des protestations contre l'ancien président Omar el-Béchir depuis décembre dernier. La SPA a encouragé les manifestants à construire des barricades, mais au lieu de les surveiller comme ils l'ont fait au sit-in, à s'enfuir immédiatement.

« Barricadez et retirez-vous », disent leurs messages. « Évitez les frictions avec les forces Janjawid ».

Photos des rues de Port Soudan ce matin.#SudanUprising#العصيان_المدني_الشامل pic.pic.twitter.com/Of1ENHfYqD- Traducteurs soudanais pour le changement STC (@SudaneseTc) 9 juin 2019

Photos des rues de Port Soudan ce matin.#SudanUprising#العصيان_المدني_الشامل pic.pic.twitter.com/Of1ENHfYqD

- Traducteurs soudanais pour le changement STC (@SudaneseTc) 9 juin 2019

Au moins 118 personnes ont été tuées par les forces soudanaises depuis qu'elles ont dispersé le sit-in lundi, selon le Comité des médecins soudanais, qui s'est rallié aux protestations, ET qui estime que le nombre réel de morts est beaucoup plus élevé.

Le groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR) a été accusé du massacre de la semaine dernière. Construites à partir des milices JanjawId accusées d'avoir commis des crimes de guerre dans la région du Darfour-Ouest au début des années 2000, les FSR se sont maintenant étendues à Khartoum.

Alors que les manifestants au sit-in dressaient leurs barricades et faisaient face aux soldats qui étaient souvent assis juste en face d'eux, les leaders de la protestation comme la SPA appellent maintenant les manifestants à être plus prudents.

La désobéissance civile, disent-ils, est la nouvelle phase de leur mouvement.

Elle est entrée pleinement en vigueur dimanche, avec l'abandon des rues de Khartoum et d'autres villes et la fermeture de commerces. Des banques ont été fermées, des vols à l'aéroport de Khartoum ont été annulés et l'exploitation de Port-Soudan a été interrompue, malgré les tentatives du conseil militaire de forcer le personnel à travailler au cours de la semaine dernière.

La SPA a déclaré que des employés de l'aviation, de la compagnie d'électricité et des banques avaient tous été arrêtés dans le but de les forcer à travailler pendant la campagne de désobéissance civile.

Les manifestations ont commencé en décembre, lorsque des citoyens de la ville d'Atbara, au nord du pays, exaspérés par l'augmentation du coût de la vie, ont incendié le siège du parti au pouvoir.

L'image s'est répandue, et bientôt les villes à travers le Soudan ont protesté, appelant à la fin du règne de Béchir après 30 ans au pouvoir.

Ils ont atteint cet objectif le 11 avril, quelques jours après le début du sit-in devant le siège de l'État-major de l’armée à Khartoum, mais ils ont été furieux que le CMT le remplace.

Le sit-in s’est maintenu, et les dirigeants de la protestation ont été en négociations avec les militaires pour un transfert du pouvoir aux civils, mais le processus, déjà stagnant, a été interrompu par l'attaque soudaine du sit-in la semaine dernière.

Depuis lundi, l'Internet a presque complètement cessé de fonctionner dans tout le pays et les hommes des FSR se sont déployés dans tout Khartoum, accusés d'attaquer des passants régulièrement et au hasard, tandis que ces derniers jours, des témoins oculaires ont signalé une augmentation du nombre de harcèlements menés par des bandes d’ inconnus dans les rues.

Suleman Adula Gadar, fonctionnaire du ministère de la Santé, a déclaré à MEE que 11 personnes avaient été tuées au cours des deux derniers jours par une recrudescence de l'activité des « hors-la-loi » opérant dans le chaos provoqué par les événements de la semaine dernière.

Des habitants de Khartoum ont déclaré à Middle East Eye que sortir dans la rue est devenu dangereux et beaucoup l'évitent si possible, décrivant leur situation comme une sorte d'assignation à résidence massive.

« Les gens essaient de stocker des provisions pour la désobéissance civile « , a déclaré à MEE un manifestant, qui ne voulait pas être nommé.

La manière de mettre en œuvre cette désobéissance civile est devenue un sujet de discussion brûlant parmi les manifestants, qui tentent de partager des informations par SMS ou par notes manuscrites distribuées dans leur quartier pour contourner les restrictions imposées à l’Internet.

Le Comité de la Résistance de Riyad, l'une des équipes de quartier mises en place pour organiser des activités de protestation localisées alors que Béchir était encore au pouvoir, s'est fait l'écho des instructions de la SPA « Faites une barricade puis sauvez-vous », mais a également appelé les manifestants à se retirer dans les rues latérales lorsqu'ils sont confrontés aux FSR.

Tracts des comités de résistance locaux appelant les habitants à la campagne de désobéissance civile

Tracts des comités de résistance locaux appelant les habitants à la campagne de désobéissance civile

 La SPA a appelé les manifestants à se servir de cette campagne pour mettre un terme à l'occupation du pays afin de desserrer l'emprise du conseil militaire, en refusant de travailler ou d'utiliser tout service, notamment financier, qui pourrait lui profiter.

Les vidéos qui sortent du Soudan, partagées par les rares personnes qui parviennent à contourner les coupures d'Internet, montrent un jeu du chat et de la souris entre des manifestants construisant des barricades et les nombreux soldats des FSR qui ont inondé Khartoum pour tenter de les nettoyer afin qu'ils puissent circuler dans la ville avec leurs fameuses camionnettes armées de mitrailleuses.

La SPA a également mis en garde contre les trucs "misérables" du conseil militaire, accusant les soldats de laisser des armes dans la rue pour inciter les manifestants à se tourner vers la violence.

Mais il semble également y avoir une augmentation du nombre d'habitants de Khartoum prêts à retourner dans la rue en grand nombre.

À Omdurman, la ville jumelle de Khartoum, un grand rassemblement s'est déroulé dans les rues vendredi soir et d'autres ont suivi samedi.

À Bahri, près de Khartoum et d'Omdurman, des rassemblements ont aussi été attaqués par des forces qui tentaient de briser les barricades. Le comité des médecins a confirmé dimanche soir que le manifestant Walid Abdel Rahman était mort après avoir reçu une balle dans la poitrine.

Mohammed Amin a contribué à la rédaction de cet article

Kaamil Ahmed كامل أحمد 
Traduit par  Fausto Giudice

Persévérance, par Amel Bashir

Persévérance, par Amel Bashir