La lutte contre l'expulsion des réfugiés africains est un moment charnière dans l'histoire d'Israël, par Gideon Levy

Si le gouvernement israélien  réussit à expulser des milliers de demandeurs d'asile, cela l’encouragera à poursuivre des plans encore plus malveillants.

Une manifestation dans le sud de Tel Aviv contre la déportation forcée de demandeurs d'asile africains, le 18 janvier 2018. Le panneau dit " Tel Aviv Sud contre l'expulsion". Photo Moti Milrod

Une manifestation dans le sud de Tel Aviv contre la déportation forcée de demandeurs d'asile africains, le 18 janvier 2018. Le panneau dit " Tel Aviv Sud contre l'expulsion". Photo Moti Milrod

Que l’expulsion de demandeurs d'asile africains arrive ou non, Israël est confronté à rien moins qu'un test qui façonnera son avenir.

Il est impossible de ne pas être choqué par la malveillance et le racisme à l’origine de ce plan de nettoyage ethnique – le déguerpissement de Noirs non juifs en raison de leur couleur de peau. Le sort de 35 000 personnes devrait toucher le cœur de tout Israélien décent, mais la question est beaucoup plus vaste et plus importante. À l'ordre du jour se trouvent,  cachés, des plans de grande envergure dont seule l'extrême-droite parle pour le moment, mais qui pourraient un jour devenir un plan d'action. L'expulsion des réfugiés africains est un programme pilote d'une grande importance pour le gouvernement et ses opposants.

Si cette mini-expulsion réussit, attendez-vous à plus: préparez-vous à un transfert de population. Si la première opération réussit, elle suscitera des espoirs d'expulsions ultérieures. Israël apprendra qu'il peut le faire, que personne ne l'arrêtera. Et quand Israël est en mesure d'agir, il le fait sans retenue. Par deux fois, il a brutalement détruit la bande de Gaza, parce qu'il le pouvait, et il le fera à nouveau jusqu'à ce que quelqu'un l'arrête.

D'un autre côté, si la déportation des demandeurs d'asile échoue, cela montrera que la partie d'Israël ayant une conscience a plus de pouvoir et d'influence qu'il n'y paraît, que si on veut, on peut.  Son test sera de continuer à se battre, avec les mêmes moyens et la même détermination, contre d'autres crimes. Un premier succès  suscitera  aussi des espoirs de succès.

C'est pourquoi le précédent africain est si important, et les plans d'expulsion et la bataille pour les arrêter ne peuvent pas être sous-estimés. La lutte a déjà fait ses preuves: le commandant de l'expulsion, le Dr Shlomo Mor-Yosef, directeur général de l'Autorité de la population, de l'immigration et des frontières du ministère de l'Intérieur, a annoncé qu'il n'expulserait que des hommes célibataires en âge de travailler. C'est la première reddition face à une large pression publique - plus large que prévu - mais elle n'a pas de sens. Il n'est pas plus légitime d'abuser des hommes que d'abuser des femmes ou même des personnes âgées. Une expulsion, c’est une expulsion, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes. Mor-Yosef a tenté maladroitement d’atténuer un péché, mais son besoin même de se cacher derrière un «on ne fait que déporter les hommes, alors tout va bien» est un exploit. On peut supposer que, embarrassé, il va bientôt démissionner de son poste honteux.

Mais ce n'est pas assez. Si la lutte anti-expulsions persiste - y compris les actes de résistance qui lui sont si vitaux - le gouvernement Netanyahou sera contraint de reculer. Sans pilotes {ceux de la compagnie El Al ont annoncé qu’ils refuseraient de transporter des demandeurs d’asile expulsés, NdT], il ne peut y avoir de vols d'expulsion et les réfugiés ne peuvent être traqués à la face des poches de désobéissance civile.

Si ce plan d'expulsion est déjoué, la gauche apprendra que le seul moyen de l'emporter est le sacrifice et la désobéissance; les rassemblements sont inefficaces. Le camp anti-déportation réalisera qu'il peut prévenir les crimes, mais seulement s'il est prêt à aller au fond et à se sacrifier, que ce ne sont ni le ciel ni la droite qui font la pluie et le beau temps Et le gouvernement apprendra qu'il n'est pas omnipotent, et qu'il a un opposant actif avec une conscience. Il convient de rappeler qu'une opération de nettoyage ethnique différente - dans la vallée du Jourdain et dans les collines du sud d'Hébron - n'a pas rencontré de résistance civile significative.

La prochaine tentative d'expulsion pourrait être celle des députés arabes de la Knesset. Tout le monde le niera, mais la rumeur est insistante Cela pourrait arriver du jour au lendemain, avec divers prétextes employés pour les rendre illégaux. Après tout, qui ne voudrait pas ça? Les masses seraient en faveur, à coup sûr, et le gouvernement aussi. Qui objecterait? Tout ce qu’il faut, c’est la bonne occasion. Le danger est plus proche qu'il n'y paraît. Qui croirait qu'il y a seulement 40 ans, Israël a fièrement accueilli des dizaines de « boat people », des réfugiés du Vietnam ?

Par la suite, à un moment donné, le véritable plan sera dressé: expulser les Palestiniens des territoires, ou du moins d'une partie d'entre eux. Sous couvert d'une guerre ou d'un soulèvement, avec beaucoup d'excuses de sécurité. Ça pourrait arriver. Cela ressemble à de la fiction maintenant, mais l'expulsion réussie des réfugiés africains soutiendrait l'idée que l'expulsion est une option faisable. Ça a l'air fou? Bien sûr. Il y a quelques années, il était fou de penser que ce pays de réfugiés chargerait de force des réfugiés menottés dans des avions et les enverrait à leur sort dans des endroits misérables, comme il prévoit de le faire dans un proche avenir.

C'est pourquoi il est si important de se battre maintenant.

Gideon Levy
Traduit par  Fausto Giudice

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Merci à Tlaxcala, le réseau international des traducteurs pour la diversité linguistique
Source: https://www.haaretz.com/opinion/.premium-fight-against-expulsion-of-refugees-is-a-pivotal-moment-for-israel-1.5767982
Date de parution de l'article original: 28/01/2018
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=22571