Comme du commencement du monde à l’autre bout, par Arnaud Maïsetti

J’ai à peine besoin de te toucher pour que le vif-argent de la sensitive incline sa harpe sur l’horizon. Mais, pour peu que nous nous arrêtions, l’herbe va reverdir, elle va renaître, après quoi mes nouveaux pas n’auront d’autre but que te réinventer. Je te réinventerai pour moi comme j’ai le désir de voir se recréer perpétuellement la poésie et la vie. D’une branche à l’autre de la sensitive — sans craindre de violer les lois de l’espace et bravant toutes les sortes d’anachronismes — j’aime à penser que l’avertissement subtil et sûr, des tropiques au pôle, suit son cours comme du commencement du monde à l’autre bout. J’accepte, sur mon passage, de découvrir que je n’en suis que la cause insignifiante. Seul compte l’effet universel, éternel : je n’existe qu’autant qu’il est réversible à moi.
— André Breton, L’Amour fou
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Lundi : remonter le pays dans l’aube, la nuit d’abord partout autour de moi quand je prends la voiture, que je me gare, que je monte lentement dans le train, la nuit sur les collines et les villes, la nuit qui rend impossible de savoir si c’est de la colline ou de la ville qu’on laisse à droite et à gauche de cette vie qui commence et dormir à demi parmi le jour qui se fait et imperceptiblement va effacer mon reflet à la surface de la vitre du train pour laisser voir la nature des choses éparses de l’autre côté de moi et de Marseille à Paris, aller ainsi dans les pensées vagues qui voudraient faire le point plutôt que le bilan, qui voudraient revenir sur les années passées pour en finir et qui sait qu’il n’y a ni passé ni fin, qu’il n’y a qu’une phrase comme on prend le train, qu’une phrase comme une ligne, comme cette ligne passant de ville en ville et qui m’emmène, comme cette trop longue phrase que la ponctuation irrégulière scande sans arrêter vraiment, et qui va dans le seul but de fabriquer de l’oubli, l’oubli du début de la phrase, oui, comme cette phrase qui se perd et jusqu’où ?

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Lundi après-midi, je me retrouve devant ces années passées, rangées soigneusement et immaculées sur une table. Je pensais que j’aurais regardé cela comme du passé, mais non. C’est l’image de la sensitive de Breton qui me vient, comme une violence joyeuse qui ressaisit, une brûlure qui fait qu’on ôte la main avant de ressentir la douleur. Les livres qui sont posées, là, dans cette pièce du rez-de-chaussée où je pourrais passer des jours à écrire et lire et regarder les silhouettes (on me prendra, vers le soir, pour le comptable), les livres n’ont rien qui achève quelque chose en moi. Les vies qu’on écrit, c’est pour les rejoindre, pour les rendre plus vives en soi. Le lendemain, je rentre en regardant le ciel changer mille fois, presque s’effondrer, et revenir mille et une fois.

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arnaud maïsetti - 3 janvier 2018

Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | CarnetsFacebook et Twitter @amaisetti.