Car rien n’a encore eu lieu, par Arnaud Maïsetti

L’instant décisif du développement humain a lieu tout le temps. C’est pourquoi les mouvements intellectuels révolutionnaires qui déclarent la nullité de tout ce qui précède ont raison, car rien n’a encore eu lieu.
— Kafka, Aphorisme

Des lendemains comme ceux-là n’ont rien pour eux – à part évidemment le poids que traînent avec eux les jours pour rien, les rendez-vous manqués, les occasions repoussées, les si seulement qui font naître regrets, ressentiment peut-être, dépit. Et la colère aussi, mais contre quoi, l’impuissance des temps, l’air qui nous entoure et pourrait pousser au découragement, au retrait, au rien. Des sentiments stériles en somme, qui paralysent – et dont il faut se défaire. Au juste, quand on annonce depuis des mois ce lendemain-là, c’est que, vraiment, rien n’a eu lieu.

Le vent d’hier est tombé ici, comme une mauvaise pensée.

Que faire, est — comme toujours — la seule question qui vaille. Évidemment, maintenant, de tous côtés, les avis, les opinions, chacun en possède une — et de cela aussi, se défaire. Que faire est cette fois la seule question à laquelle on ne peut se dérober.

Est-ce qu’il faut se compter ? Une question de plus, de trop – la situation historique pourrait être à la déploration (on a tellement l’occasion de s’y repaître, de s’y complaire), nos contemporains, fait objectif, voudraient qu’on choisisse entre deux fascismes lequel serait le plusmoralement acceptable (celui de la nation, ou celui des revenus, de l’injustice sociale, de la compétition de tous contre chacun), et on serait là, soumis à choisir sous peine d’être complice, responsable et coupable.

Il y aurait la lâcheté (elle est parfois tentante) de se réfugier ailleurs, et loin, en soi par exemple, ou auprès des nôtres – il y a aussi la volonté de travailler à sa petite mesure, chaque jour et insidieusement, au complot contre ce temps. Il y aura le nombre aussi, il y aura ce qui donne sens à ce qui fait de nous des solitudes dans nos communes appartenances, et apprendre encore à conjuguer émancipations individuelles et solidarités collectives. Tout cela, jeté en vrac dans ce journal n’a aucun sens — l’écrire fixe des lignes qui s’échappent. L’organisation du monde a échoué. Il faudra autre chose : il y a déjà autre chose.

Rien n’a encore eu lieu — et tout commence, en dehors, à côté, dessous, ou à travers le tissu de ces jours. Chercher la déchirure, encore. Refuser tout ce qui pourra ressembler à des postures, des accommodements, tout ce qui pourrait paraître comme des regards en coin. Rien n’a encore eu lieu, jamais, la preuve : il n’y a aucune preuve.

(images : le vent tombé)

Arnaud Maïsetti, le 24 avril 2017

Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | CarnetsFacebook et Twitter @amaisetti.

2017-04-24_16.55.47.jpg