La Cour administrative d’appel invente un nouveau signe religieux ostentatoire : le bandeau de tête porté avec une jupe longue !
C’est officiel : la France compte désormais un nouveau signe religieux ostentatoire : le bandeau de tête porté avec une jupe longue. Dans une décision rendue mardi 18 avril 2017, la Cour administrative d’appel de Paris a refusé le recours déposé par une ex-collégienne exclue de son établissement en avril 2013 pour ce motif. Elle valide ainsi l’interprétation du collège qui avait estimé que cette tenue vestimentaire avait un caractère religieux, créant de facto un nouveau signe ostensible !
En matière de signes religieux, on connaissait la kippa, le voile ou encore la (plus ou moins grande) croix des chrétiens. Il faudra désormais y associer une nouvelle tenue vestimentaire : le bandeau porté avec une jupe longue. C’est en tout cas ce qui découle d’une décision de la Cour administrative d’appel de Paris, datée du mardi 18 avril 2017. Cette décision est une étape de plus qui ponctue le chemin de croix de Sirine B., élève exclue de son collège de Villiers-sur-Marne en 2013. Un parcours judiciaire qui avait mobilisé, en mars 2013, jusqu’aux honorables magistrats du Conseil d’Etat. Qui s’étaient très sérieusement penchés sur la largeur du bandeau porté par la collégienne, la longueur de sa jupe et même la couleur de ses vêtements. Tout cela en vertu de la loi du 15 mars 2004, prohibant le « port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».
Des enseignants vigilants sur la longueur des jupes de leurs élèves
Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut donc remonter à 2012. Lors d’un article paru en avril 2013 dans Global magazine, nous avions enquêté et retracé l’enchaînement des faits. Sirine, élève de 3e au collège des Prunais de Villiers-sur-Marne (Val de Marne), alors âgée de quinze ans, porte depuis peu le foulard, qu’elle enlève avant d’entrer en cours, comme le prévoit la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école. Soucieuse de son apparence, l’élève porte régulièrement un bandeau assorti à la couleur de ses tenues vestimentaires, dont émerge une longue queue de cheval. Le 4 décembre 2012, la jeune fille, qui habite avec sa famille la cité des Hautes-Noues de Villiers-sur-Marne, est interpellée par son professeur d’histoire-géographie et instruction civique. Celui-ci lui intime l’ordre d’ôter son bandeau, le qualifiant de « signe religieux ostentatoire ». On apprendra plus tard que le professeur en question est un délégué du SNES, le syndicat majoritaire dans l’Education nationale, qui fait la pluie et le beau temps dans l’établissement. Mais ce jour de décembre, la jeune fille, qui s’estime victime d’une injustice, refuse de répondre à l’injonction de son professeur et tente de se défendre en expliquant qu’elle n’est pas la seule élève du collège qui porte un bandeau. Jusque-là, on est encore dans le registre de la farce tragi-comique, qui voit des enseignants et directeurs d’établissements faire preuve d’un zèle singulier concernant la tenue de leurs élèves, particulièrement les filles, comme l’a encore montré en mars dernier l’affaire des « tenues indécentes » au lycée Emile Loubet de Valence. Les élèves de ce lycée dromois, à qui la proviseure interdisait le port de jeans troués, de jupes et shortstrop courts et d’un maquillage trop prononcé, avaient été jusqu’à tracter et manifester devant leur établissement. Ce dont la presse avait rendu compte très largement, prenant la défense des élèves.
Une affaire qui prend une dimension nationale
Mais ce 4 décembre 2013, à Villiers-sur-Marne, l’affaire du bandeau de la jeune Sirine prend une toute autre ampleur, pour cause d’hystérie islamophobe. A tel point qu’elle est racontée en détail dans un livre devenu une référence en la matière : « Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le problème musulman ». Un ouvrage publié cette même année par les sociologues Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat. Après qu’elle a refusé de se plier aux injonctions de son professeur, Sirine va être, selon ses propres termes, « traitée comme une pestiférée ». L’affaire étant jugée extrêmement grave, elle est reçue le jour même, en présence de sa mère, par la principale du collège accompagnée de deux conseillers principaux d’éducation. Ce sera l’une des seules démarches mise en œuvre par l’établissement, alors que la loi prévoit une phase de dialogue avec l’élève et sa famille. Bizarrement, -mais ce ne sera pas la seule anomalie de ce dossier- aucune sanction ne lui est signifiée et aucun conseil de discipline n’est alors convoqué, ce qui aurait dû être le cas s’agissant d’une atteinte suffisamment grave à la laïcité pour justifier un recours du ministre devant le Conseil d’Etat .
Un « dialogue » à sens unique
Les jours qui suivent ce 4 décembre 2013, Sirine est chaque matin escortée jusqu’au bureau des surveillants, où on l’isole derrière un casier, avec interdiction de parler à ses camarades ou d’aller en récréation. Une durée exceptionnellement longue pour cette « phase de dialogue » prévue par la loi de 2004 et qui doit précéder toute démarche disciplinaire. En effet, après l’entrée en vigueur de la loi, un tribunal administratif avait estimé, dès le 21 octobre 2004, qu’en refusant d’accepter un élève en cours pendant une période aussi longue -moins d’un mois dans ce dossier à l’époque-, sans le faire passer devant un conseil de discipline, « l’administration a porté une atteinte grave et illégale aux droits de l’élève ». La circulaire du 18 mai 2004, précisant le cadre d’application de la loi, a beau insister sur la priorité à donner « au dialogue et à la pédagogie », le dialogue engagé par la principale du collège et certains enseignants, se résumera surtout à des arguments particulièrement ridicules, expliquant que le bandeau de la jeune fille l’empêche d’entendre en cours ou que la longueur de sa jupe met en danger les autres élèves qui risquent de se prendre les pieds dedans… Et pendant les quatre mois que va durer la mise en isolement de la jeune fille dans son collège, alors que les enseignants sont censés lui communiquer des éléments de cours, afin de ne pas mettre en danger sa scolarité, elle n’aura qu’une seule et unique note. Interviewée le 19 mars par Le Parisien, elle explique qu’il « n'y a pas eu de mot dans [son] carnet, pas de mesure disciplinaire ». Et ajoute : « au début, on ne me donnait rien à faire puis j'ai eu des exercices mais sans la leçon qui allait avec ». Elle est pourtant censée préparer le brevet des collèges cette année-là.
Des enseignants spécialistes es-tenues islamiques
Dans un premier temps, la famille de la jeune fille tente de la convaincre de renoncer à sa tenue, car elle craint pour la suite de sa scolarité. D’autant que Sirine connaît déjà de sérieuses difficultés. L’année précédente, elle a raté de nombreux cours et été hospitalisée deux fois à l’hôpital de Créteil. Qui a diagnostiqué une phobie scolaire. Pourtant, selon Fatiha, la mère de Sirine, le médecin scolaire a ignoré ses alertes. La jeune fille ayant expliqué à ses parents qu’elle est dans son bon droit, sa tenue ne pouvant être qualifiée de religieuse -et de fait, aucun texte du corpus musulman ne la qualifie comme tel-, la famille prend finalement le parti de sa fille cadette. Sur le conseil d’une autre mère d’élève, la mère de Sirine tente alors de contacter le médiateur du rectorat, mais sans succès. Ce n’est que deux mois plus tard que la famille se décide à contacter le CCIF (collectif contre l’islamophobie en France), qui va alors l’épauler dans ses démarches. Le CCIF tente d’abord une médiation avec la direction du collège des Prunais, qui la refuse, estimant que cette intervention démontre que le refus de céder de la jeune fille est motivée par des raisons religieuses. Soutenue par le CCIF, la famille réussit enfin à déposer plainte, le commissariat n’ayant auparavant accepté de rendre qu’une main courante. Cette année-là, en 2013, le CCIF nous expliquait être intervenu dans une quinzaine d’affaires concernant des jupes jugées anormalement longues dans divers établissements français. Avec des enseignants qui tout d’un coup se muent en spécialistes es-tenues islamiques. La plupart se seraient soldées par des médiations. Mais dans l’affaire de Sirine, il a fallu compter avec une principale obtuse du collège et un rectorat de Créteil particulièrement droit dans ses bottes.
Le ministre interpellé à l’assemblée nationale
Sollicité lors d’un référé-liberté par la famille, qui estime que le droit à l’éducation de la jeune fille est bafoué, le tribunal administratif de Melun donne gain de cause à l’élève le 6 mars 2013. Parlant « d’accessoires de mode », il demande sa réintégration immédiate, estimant qu’elle a déjà perdu beaucoup trop de temps. Mais pendant ce temps, le rectorat de Créteil a entrepris d’étoffer le dossier, ajoutant une « tentative d’intrusion dans l’établissement scolaire avec un voile » et « des absences le vendredi pour aller à la mosquée ». Des faits pourtant contredits, attestations à l’appui, par la défense de la jeune fille. Qui se verra aussi contrainte de produire des photos montrant Sirine dans une jupe écarlate, assortie à son bandeau, quand le rectorat prétend qu’elle s’habille tous les jours en noir… Le jour où nous l’avions rencontré pour la première fois, elle portait une tenue bleu électrique. L’affaire Sirine prend en tout cas une dimension nationale, le député-maire Les Républicains de Villiers-sur-Marne, ira jusqu’à interpeller le ministre de l’Education nationale de l’époque, un certain Vincent Peillon, devant l’assemblée nationale le 27 mars. Jacques-Alain Benisti était alors surtout connu pour un rapport controversé sur la délinquance des mineurs proposant un dépistage dès l’âge de trois ans. Quant à Vincent Peillon, outre une loi sur les rythmes scolaires, il s’illustrera en présentant une charte de la laïcité quelques mois plus tard, en septembre 2013.
Les sages statuent sur la longueur des jupes et la largeur des bandeaux
Ce sont donc les « sages » qui seront chargés, le 19 mars, toujours dans le cadre du référé-liberté, d’étudier la tenue de Sirine pour déterminer si elle tombe sous le coup de la loi. Le Conseil d’Etat va alors rendre une décision totalement contradictoire. Dans son délibéré, il établit que la décision du collège « n’était pas illégale, à supposer même qu’un doute existe (…) sur le motif du port de la tenue ». Or, c’est précisément ce doute qui pose problème. En effet, la circulaire d’application de la loi de 2004 précise que sont interdites « les signes et tenues (..) dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive ». Si le Conseil d’Etat doute, c’est bien que la tenue de Sirine n’est pas ostentatoire, ce qui supposerait que le caractère religieux de cette tenue puisse être reconnu au premier coup d’oeil. C’est d’ailleurs l’argument qui sera mis en avant par Me Gafsia, l’avocate de Sirine. Mais le Conseil d’Etat va aussi mettre en avant un autre argument. La persistance de Sirine « dans son refus de renoncer à cette tenue » serait « bien le signe par lequel elle manifeste ostensiblement son appartenance religieuse ». Une gamine qui refuse l’arbitraire, estimant être dans son bon droit, serait ainsi une dangereuse prosélyte. C’est pourtant cette décision du 19 mars 2013, qui permettra à la direction du collège de convoquer un conseil de discipline, qui prononcera sans surprise l’exclusion de la collégienne le 5 avril de la même année. Le délégué de la FCPE (association de parents d’élèves classée à gauche), qui avait voté l’exclusion de Sirine, n’exclura pas d’avoir été « manipulé », comme il nous l’avait affirmé à l’époque.
L’élève sommée de prouver le caractère non religieux de sa tenue
On n’est cependant pas au bout du ridicule dans cette histoire, puisque Sirine, qui n’avait pas atteint l’âge de la fin de la scolarité obligatoire (16 ans), sera finalement admise dans un autre collège des environs quelques semaines plus tard… Avec la même tenue. Revanche pour la jeune fille, elle obtiendra cette année-là son brevet des collèges. Mais elle ne désarme pas. Me Nawal Gafsia, son avocate, dépose donc un recours contre l’exclusion de Sirine. Recours examiné par le tribunal administratif de Melun le 7 juillet 2015. Celui-ci, contredisant le jugement qu’il avait rendu début mars 2013, estime cette fois, se basant sur la décision du Conseil d’Etat, estime cette fois que les déclarations de Sirine ne suffisent pas à établir qu’elle portait, au sein de l’établissement, une tenue vestimentaire sans rapport avec une appartenance ostensible d’une appartenance religieuse. Autrement dit, c’est désormais à Sirine de démontrer que sa jupe et son bandeau ne constituent pas une tenue religieuse ostensible ! La même avocate défend un homme, qui lors d’un stage à l’hôpital de Saint-Denis, s’était vu intimer l’ordre de raser une barbe de 7 cm. On aura donc peut-être un procès de la barbe après celui du bandeau et de la jupe. De quoi occuper utilement le Conseil d’Etat.
Un rapporteur public pas vraiment impartial
Au-delà du ridicule, qui voient les tribunaux d’un Etat laïque se prononcer sur le caractère religieux d’une tenue qu’aucun texte ou tradition musulmane ne qualifie comme tel, c’est le refus de la jeune fille qui sera à nouveau invoquée par le rapporteur public de la Cour administrative d’appel le 28 mars dernier, comme élément de preuve du caractère religieux de la jupe et du bandeau de Sirine. Le plus cocasse est que l’ex-collégienne, qui assistait à l’audience, ne porte plus le voile depuis près d’un an. Âgée aujourd’hui d’une vingtaine d’années et toujours élégante, la jeune femme travaille à l’aéroport d’Orly et aimerait devenir profileuse. Ce qui n’a pas fait fléchir le rapporteur public. Ce jour-là, le magistrat de la Cour administrative d’appel, après avoir contesté sans états d’âme les recours de salariés aux prises avec leur employeur, la Ville de Paris, avait pris fait et cause pour l’association « La Vie Dejean ». Cette association de riverains présentait, lors de la même audience, un recours contre la Ville de Paris, à propos des vendeurs à la sauvette qui vendent articles de contrefaçons, maïs et légumes dans la zone du marché Dejean, situé en plein quartier de la Goutte d’Or. Un marché réputé pour attirer la clientèle africaine et antillaise parisiennes, qui y trouve viandes, poissons, fruits et légumes exotiques à bas prix.Interviewé par Le Parisien, l’un des membres de cette association avait déclaré : « les femmes sont parfois agressives (…), elles ne supportent pas qu'on les regarde. Le climat n'est pas sympa du tout. » Estimant que la mairie de Paris manquait à ses devoirs, le rapporteur public, s’était départi de son impartialité de magistrat, annonçant que lui-même vivait dans le quartier, ce qui lui donnait semble-t-il un argument pour appuyer ostensiblement la position d’une association, qui verrait d’un bon œil le remplacement de ce marché « ethnique » par un marché bio bien français…
Véronique Valentino,le 25 avril 2017