Avec Maxime Duveau, Los Angeles c'est 2,24' de brûlure à long terme
L'étonnant Maxime Duveau expose à la galerie Houg sa théorie de fusains grattés qui parlent d'un ailleurs trop proche : Une sorte de carambolage dans une partie de billard cosmique. L'artiste y déploie, de petits en grands formats, des vues de Los Angeles retravaillées à partir de photos prises sur place lors d'un voyage où il est allé chercher ses lieux de mémoire. Ses lus, vus, sus, entendus et imaginés s'y retrouvent décalés, magnifiés, transformés - pour ne pas être en reste avec le cliché d'origine. Résumé de parcours ci dessous.
Comme tout européen de son temps, français de surcroît, Duveau a une culture rock, livresque et cinématographique qui ne s'en laisse pas compter et a mis des images avant les images et des sons avant ceux de la ville. Los Angeles est une carte plus grande que le territoire qui déplie ses vies intérieures. Pour en saisir la substantifique moelle, il faut faire des surimpressions qui, comme le Lynch de Mulholland Drive superposent vies et atmosphères, rêve et cauchemar, On citera aussi Hitchcock pour son Bates Motel …
Autrefois, en 1939, chez Nathanael West, le cauchemar climatisé de la cité des Anges prenait cette forme : par phrases froides, d'une sobriété calculée, West peint par petites touches le tableau d'un monde qui n'est pas seulement en décomposition mais qui est la décomposition incarnée. Si d'aventure un sentiment d'amour ou de simple sympathie tente - bien timidement - de montrer le bout de l'oreille, il est immédiatement pris en chasse, traqué, acculé et mis à mort : les personnages principaux ne peuvent s'autoriser des sentiments nobles que s'ils vivent sur grand écran. "L'Incendie de Los-Angeles" (Day of the Locusts)
Un peu plus tard, dans les fifties, on arrive à la vision d'un John Fante qui déclare sa flamme : "A coté d'elle j'étais un étranger. Elle était toutes ces nuits calmes, ces grands eucalyptus, elle était les étoiles du désert, terre et ciel et brouillard dehors, et moi je n'étais venu ici que pour écrire, pour gagner de l'argent, pour me faire un nom et toutes ces singeries." Et aussi ainsi : Los Angeles, donne-toi un peu à moi ! Los Angeles, viens à moi comme je suis venu à toi, les pieds sur tes rues, ma jolie ville je t'ai tant aimée, triste fleur dans le sable, ma jolie ville.
Demande à la poussière de John Fante
De retour à Paris, Maxime Duveau s'est remis à gratter. Normal c'est sa technique de dessin : superposer plusieurs couches de fusains et les fixer, avant de dessiner/superposer les images de ses photos pour les récupérer en grattant le noir pour avoir les images en positif. Et ce, en collant des scotchs sur le fusain pour délimiter des zones qui, grattées et décollées, seront les futures images.
Bien sûr, arracher le scotch entraîne des fois des blancs qui surgissent inopinément en traces de cutter et font des lacérations plus profondes que le simple arrachage de la matière. Mais l'image est voulue ainsi, à ne pas offrir d'image clean dans une ville qui l'est tout sauf…
Dans ces lieux de mémoire et d'oubli, le rêve va toujours plus vite que le souvenir qu'on en rapporte et se magnifie à façon - mais de quoi. On y trouve ça et là des marques de clubs de musique ayant accompagnés des mouvements précis des freaks au punk, des lieux sensibles comme le Tropicana Motel où aussi bien Iggy Pop que Tom Waits se sont bourrés la gueule et plus. Là où même la moquette a besoin de se faire raser… Mais aussi pour cause historique, de simples repères géographiques sur des boulevards qui enfilent 100 km de bitume de leur début à la mer ou aux collines (Pacific, Santa Monica).
Pourtant, à l'inverse d'autres choses jouent qui se déploient différemment, comme ce Sunset Strip qui, en opposition aux autres toiles, blanchit radicalement le propos. un peu comme si, à la fin de l'Etat des choses de Wim Wenders lorsque le cinéaste se fait assassiner la caméra à la main, Los Angeles réglait finalement son compte à tous les voleurs d'images qui viennent y chercher autre chose qu'un décor propice aux fantasmes. Ou bien, soyons magnanimes, qu'elle effaçait le rêve d'avant pour laisser place au suivant … On laisse la parole en V.O. à X pour son hymne éponyme à la ville. Fin de l'enquête, les clichés sont rangés, les détectives lessivés. Le bourbon à la main, ils rallument la télé et se font un match de hockey. Get out, get out !!!!!
Jean-Pierre Simard le 11/04/17
Maxime Duveau - Une sorte de carambolage dans une partie de billard cosmique -> 6/05/17
Galerie Houg, 22 rue Saint-Claude 75003