La Ville écrite | détruisons, par Arnaud Maïsetti

Aux yeux du caractère destructeur rien n’est durable. C’est pour cette raison précisément qu’il voit partout des chemins. Là ou d’autres butent sur des murs ou des montagnes, il voit encore un chemin. Mais comme il en voit partout, il lui faut partout les déblayer. Pas toujours par la force brutale, parfois par une force plus noble. Voyant partout des chemins, il est lui-même toujours à la croisée des chemins. Aucun instant ne peut connaître le suivant. Il démolit ce qui existe, non pour l’amour des décombres, mais pour l’amour du chemin qui les traverse. Le caractère destructeur n’a pas le sentiment que la vie vaut d’être vécue, mais que le suicide ne vaut pas la peine d’être commis.
— Walter Benjamin, « Le caractère destructeur »

Ainsi pour l’amour des chemins, la destruction est œuvre de salut public : celui de ce monde-ci. Graffer une statue ancienne, tagguer les murs blancs, écrire sur les peaux mortes du monde qui s’effondre sur lui : œuvre, appelée elle-même à sa destruction, par sa destruction. La ville est un site internet : chaque jour remplace le suivant, et le détruit, le recouvre, le réalise. La ville ? Plutôt, le désir de ville qu’on porte en nous comme un sacrilège.

« S’il est légitime de rêver d’un autre monde, il ne l’est pas de dégrader celui-ci », juge la Maire de Paris. Au contraire : c’est aussi au prix de cette dépense-là. Les chemins s’ouvrent ainsi, en opérant vivant le présent.

« Le vieux monde parti en cendre / Partira, je l’ai vu de loin / On enlèvera, nos pierres / 
De leur édifice et les pavés du chemin / », dit la colère et le désir : comme on souffle à la fois dans ses mains et sur les braises de l’histoire, un soir très froid d’hiver – et que cette pensée réchauffe un midi brûlant de septembre et d’ennui, 4 septembre fondateur d’oubli. Jour où voir la rentrée rentrer, et les discours discourir qui justifient l’état injustifiable de ce monde. Alors plutôt écrire sur les murs : et même sur les bases des murs, à hauteur de regards, aux fondations des immeubles et des villes, ; oui, plutôt travailler à leur joyeuse dispersion ; plutôt chercher les chemins que de prendre pitié pour ces murs d’enceinte qui seront bientôt des ruines.

Arnaud Maïsetti, le 4 septembre 2016


Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | CarnetsFacebook et Twitter @amaisetti.