Vieux moteurs et huile de coude avec la Mécanique des sons de Jérôme Bailly
« C’est à un instinct mécanique, qui est chez la plupart des hommes, que nous devons tous les arts, et nullement à la saine philosophie.»
Cette citation de Voltaire, Jérôme Bailly, auteur du blog « La mécanique des sons » l’a faite sienne. Ce journaliste-réalisateur de Radio Scarpe Sensée, radio associative du Pas-de-Calais, qui officie également pour Arte radio, se présente d’ailleurs comme « mécanicien sonore ». Micro à la main, cet horloger du bruit, parcourt sa région à la recherche de « doux bruits de passionnés ».
Il y a, dans la démarche de ce Jacques Tati du son, quelque chose de feu l’émission Striptease, devenue culte, issue de la RTBF belge. Pas si étonnant, qu’en voisin, Jérôme Bailly en ait absorbé cette façon d’effeuiller ses contemporains, pour nous livrer leur vérité nue, leur « mécanique », à travers ce qu’il qualifie de « rouages sonores ».
Comme dans Striptease, on retrouve cette façon de s’effacer devant les protagonistes, en s’attachant au quotidien, finalement pas si ordinaire, d’anonymes, pour nous donner à entendre leur singularité. Jérôme Bailly nous convie à découvrir un Nord, loin des clichés d’une région, irrationnellement décriée ou portée au pinacle. Même lorsqu’il restitue la parole d’anciens mineurs, le carillon des beffrois de Douai, Arras ou Cambrai, ou encore les bruits de Lille, l’étrangeté est toujours au rendez-vous. Une façon de produire une poésie sonore à partir du quotidien. Promeneur curieux, adepte du culte de la lenteur, Bailly nous donne à entendre la vie, telle qu’elle va dans son Nord Pas-de-Calais, au rythme de ses rencontres : des enfants découvrant avec enthousiasme la vie foisonnante d’une mare, la complainte d’un antique rouet, un belge parcourant les routes au volant d’un vieux Van, les expériences d’un passionné de modélisme ferroviaire. Aventurier du son, Jérôme Bailly est du genre à placer ses micros dans une ruche, quitte à récolter quelques piqûres d’abeilles, au passage. Ou à donner la parole à ses voisines de studio radio, de paisibles vaches de l’Artois, qui regardent passer des trains qu’elles ne prendront jamais.
Son blog, la Mécanique des sons, propose des cartes postales, des pastilles ou des documentaires sonores, bref, le son dans tous ses états. « La Mécanique des Sons capte l’énergie sonore d’un lieu » explique l’auteur. «Après analyse, transformation et ajustement, cette force active et entraîne les rouages sonores. Le son mécanique ne provient pas seulement de machines, le fait de capturer une ambiance et de la transformer est un procédé mécanique à part entière ». Le travail de Jérôme Bailly ne consiste pas seulement à laisser le micro tourner. « Une fois cette matière capturée, elle est coupée, modelée, modifiée (…). La démarche de création se veut donc mécanique, dans le sens de la répétition et de l’instinct et non du geste irraisonné ». A travers cette geste sonore, le banal cesse d’être ordinaire pour mieux ouvrir nos imaginaires. Jérôme Bailly aime «décontextualiser les sons, les transformer, pour donner à entendre autre chose », au-delà des sons enregistrés. C’est cette présence rémanente d’autre chose qui donne ses singularités à ses « créations bruitistes ».
A l’heure où Paris bannit les vieilles voitures pour cause de pollution intensive, nous vous proposons de retrouver les bricoleurs de l’association Adala, passionnés de moteurs totalement hors-la-loi pour une pastille sonore intitulée « Vieux moteurs et huile de coude ».