au solstice des amants, par Arnaud Maïsetti
Nous ne nous séparons que pour être plus intimement unis, plus divinement accordés à toutes choses et à nous-mêmes. Nous mourons pour revivre.
Je serai : je ne demande pas ce que je deviendrai. Être, vivre est assez, c’est la gloire des dieux. C’est pourquoi tout ce qui est vie, dans le monde divin, ignore l’égalité : il n’y a en lui ni maîtres ni esclaves. Les natures vivent les unes avec les autres comme des amants ; elles ont tout en commun : l’esprit, la joie, l’éternelle jeunesse.F. Hölderlin, Hyperyon
Nous y sommes encore. Un Vingt-et-Un décembre comme à chaque retour du ciel quand le vent bat jusqu’ici. Que la terre se rassemble sur elle-même : et que le jour se resserre sur sa pointe la plus fine, qu’il amasse en lui sa fragilité la plus précieuse, qu’il a épuisé toute sa force et qu’il ne reste que cela : au soir du vingt-et-un décembre quelques heures seulement de jour. Dans les temps qui sont les nôtres, on sait reconnaître ce jour : et la nuit qui vient, la plus longue de l’année, on sait en mesurer le poids aussi dans le siècle.
Le lendemain, la nuit déjà sera plus courte de quelques secondes – le jour reprendra pied dans son destin. Cette nuit ressemble au pouvoir : amassé sur lui-même, énergie épuisée de l’année qui a réduit la lumière à si peu, vieillesse, désespoir, colère triste.
Lu Hyperion ces jours, ces nuits ; repris Mélancolie de Gauche ; pris des notes sur la constitution des Communes à Milan au XIIIe s. : faire feu de tous bois, dans ces jours rares de lumière, c’est se préparer aussi, encore. Je le sais bien : il faudra bien finir par commencer, par finir de se préparer : je le sais, oui. Je sais aussi que commencer prend du temps, qu’à cet égard la nuit est une leçon, et le jour.
Toujours l’obsession des forces : d’arracher à tout ce qui est possible – jour et nuit compris, livres et visages, vagues ou rochers, ou pensées ou désirs – des forces.
Si ce Vingt-et-un décembre – cette année, à 11h44 – est l’image de ces jours, de secousses et d’ombres, c’est à cause de sa nuit : reste à inventer des lendemains, aujourd’hui. Autrefois, on levait de grands feux qu’on traversait pieds nus ; on crachait sur les grottes ; on dévorait le cœur palpitant des bêtes ; on dressait des théâtres avec nos corps : on disait les mots réservés à ce jour, on inventait celui de sacré, celui de terreur et on cessait de prier pour agir sur le jour et qu’il revienne.
Là où la croyance a cessé demeure les forces qui les soutenaient, peut-être : le jour est là encore et plus encore ce soir la nuit qui l’entoure. Revient cette tâche de voir dans la nuit les jours écrasés sous elles et prêts à se soulever, reste à tirer sur la nuit pour les voir affluer, et les désirer comme des amants pour mieux vivre parmi eux la jeunesse du monde qui est la nôtre, malgré la raison rance des vieillards qui nous gouvernent encore, pour combien de temps ?
arnaud maïsetti - 20 décembre 2016
Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | Carnets, Facebook et Twitter @amaisetti.