Short-cuts 44, par Nina Rendulic


semaine du 21 / 11 / 16

"Si l’autre n’est pas là, on n’écrit pas"


il est temps pour un peu de déconstruction

bon, il y a ce chien dans les rues d’Orléans

ils ont installé les chalets pour le marché de Noël. ils ont installé le grand manège. ils ont installé les décorations sur les arbres. qui n’ont pas encore perdu leurs feuilles. je trouve ça ridicule

il fait moyennement froid. moyennement mouillé. moyennement moche

ce chien, il a failli se faire écraser par le tramway rue de la République

il a un harnais rouge et une petite étiquette verte avec le nom d’un salon de toilettage. aucun intérêt

avant, peut-être que j’aimais les fêtes

peut-être que j’aimais

ce chien, il est à quelqu’un. qui le cherche. dommage que ça soit moi qui l’ai trouvé et pas ce quelqu’un

je ne savais pas quoi en faire

puis cette nuit j’ai rêvé que tu as acheté deux locaux vides près de la place aux Fleurs.

en ce moment je dors beaucoup. c’est trompeur

j’ai fini Marie D et j’ai repris Marguerite D

deux autres personnes se sont arrêtées pour regarder le chien avec moi. je leur ai dit en somme c’est triste puis bonne soirée. elles m’ont regardée l’air interloqué. elles ont eu peur. de mes mots. de ma voix. on ne peut plus dialoguer. on est des îles. c’est désolant

je ne sais pas ce que veut dire savoir écrire

j’attends

je ne suis pas vraiment chiens

puis je suis pressée. puis j’ai peur. et tant d’autres raisons pratiques objectives et pleines de bon sens

je suis partie

pourvu que… toujours rien

hier au théâtre j’ai failli ne pas m’endormir

il faut que j’arrête de parler, non ?

le soir j’ai pensé à ce chien. puis je l’ai oublié

il était très blanc

très petit

très perdu

je l’ai revu le lendemain rue des Carmes. il était moins blanc

mais vivant

on ira boire du vin chaud, au moins

je pense à cette feuille de ginkgo

je me disais c’est bien il n’est pas mort

et je ne savais toujours pas quoi en faire

et je n’ai rien fait.

au premier étage quelqu'un joue du piano

Nina Rendulic


Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis