Instincts primaires | Jour d’élections, disent-ils, par Arnaud Maïsetti


Note du 27 novembre 2016

Puisque l’actualité se répète (la comédie après la tragédie, la farce après la comédie, la bouffonnerie après la farce : et après ?), je remonte ce texte écrit la semaine dernière.


le 20 novembre 2016

Jour d’élections, il paraît. En ces temps où la démocratie est devenue le meilleur instrument de conquête du pouvoir du fascisme, s’agira plus qu’un autre jour d’évoluer dans la ville indifférent à ses hystéries collectives, mais non indifférent à ce qui se joue dans ces hystéries, ce qu’elles menacent et déjà sanctionnent : alors trouver des parades, y travailler violemment, tranquillement.

Jour où des foules choisissent joyeusement à qui remettre un pouvoir (on ne sait pas lequel : peut-être tous ?) : et qu’on s’en débarrasse. Jour où se déposséder de son pouvoir, et qu’un autre l’exerce, voilà tout. Ils se disent autre chose, peut-être : ce que longtemps je me suis dit, songeant : voilà un geste où s’exerce une liberté. Mais quand la représentation ne représente que son fantôme, l’illusion de sa puissance ? Quand c’est tout le contraire qui s’exerce : la dépossession pure et simple ? Ce jour où, par la force des choses, je me tiens à distance, voilà qui crève les yeux.

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Dans les rues de Marseille, on vote, comme hier dans le Michigan, avant-hier à Varsovie, demain où encore ? Notre histoire aura été celle-ci : fruit de tant de luttes, voter est devenu ce qui insulte ce pour quoi avaient été menées les luttes. Bien sûr, il y a la mauvaise conscience, la voix des cadavres morts pour arracher au pouvoir le renversement des forces. Pourtant.

Désormais, on voit la réalité pour ce qu’elle a toujours été : si le pouvoir consent à accorder une existence à ce geste, c’est comme on tolère le bruit d’un voisin à l’étage du dessous.

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Du vote comme outil d’accession au pouvoir du fascisme, le fait paraît si évident qu’on n’aura même plus à le prouver. Reste, dans ce cirque, à ne pas s’en tenir là. L’alternative : soit reprendre pied dans le jeu démocratique, soit faire en sorte que le pouvoir ne soit pas un enjeu pour nous, et s’en extraire, trouver localement des forces d’organisation qui nous en arrache. Mais on sait bien que le pouvoir, lui, saura toujours s’intéresser à nous – depuis que gouverner n’est plus qu’une stratégie de contrôle des populations, comment inventer des espaces où l’on s’absenterait de leur réel ?

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Bien sûr, l’art est un contre-poison — une manière de s’arracher d’ici pour mieux engager le dialogue : une tactique. Un territoire d’émancipation possible, une mise en suspension de notre appartenance, une façon de réinventer des lieux d’existence, aberrant, invisible, codé. Mais bien sûr on sait aussi qu’il est souvent espace d’aliénation à la puissance, outil de justification de ce monde, de validation – un lieu pansement du lien social, du consensus, d’un vivre-ensemble insupportable désormais.

Il faudrait des communautés qui ne soient pas des communions : des liens d’hostilités qui nous lieraient par-delà l’amitié des luttes, des lignes de partage qui soient aussi des failles, il faudrait le goût du complot et des nuits, des secrets, des temps qui n’appartiennent à rien d’homologué, d’autorisé, de régenté.

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Dans ces votes qui parlent le vocabulaire du sport davantage que de la guerre — où celui qui l’emporte, gagne le droit d’être qualifié, aura été meilleur —, il nous faudra l’intelligence du présent. Il faudra récuser leur syntaxe, leur vocabulaire, leur langue. Il faudra être ailleurs, pour mieux être ici.

Nous ne sommes pas seuls. Il faudra forger des alliances, même de circonstances, puisque les circonstances l’exigeront.

Ils disent : c’est le peuple qui décide. D’autres disent : nous agissons au nom du peuple. Et le peuple en effet s’en remet à ceux qui lui volent le plus férocement son nom. Je ne sais pas si Robespierre avait raison — en disant que peut-être le peuple était traître à sa propre cause  —, mais le peuple, s’il est ce nom, n’existe plus là où on parle pour lui, et il faudra travailler à lui redonner un nom propre à ce temps, un nom qu’il reconnaîtrait davantage que ces lapsus de noms qui l’insultent.

Au nom du peuple est le dernier avatar d’un slogan qui se retourne sur le peuple pour lui voler son nom et sa dignité.

Jour(s) d’élections : et alors ?

Depuis longtemps on sait que la représentation élective n’a plus rien à voir avec la démocratie représentative, ni la démocratie avec l’instrument des émancipations : où trouver des représentants qui soient l’interface du collectif et du singulier ? Où désirer des collectifs dans lesquels prendraient sens nos singularités ? Eux, ils votent, et puis après ?

Marcher dans Marseille un jour comme celui-ci ne console pas, mais remet le sens de l’histoire à sa place. Sur les murs, des questions autant que des voies possibles pour y répondre. Il y a beaucoup de vent depuis hier, et pour deux jours encore donc, selon la sagesse populaire. Impossible d’aller dans le sens du vent sans se précipiter dans la mer, alors : aller contre le vent jusqu’au cœur de Noailles, et plus haut, vers Jean-Jaurès, ou la rue Blanqui.

Jour d’élections, donc. Moi qui ai toujours mis un point d’honneur à toujours voter, évidemment qu’un jour comme celui-ci, le vote apparaît comme ce qu’il est. Marcher dans Marseille un jour d’élections comme celles-ci remet le sens des devoirs et des droits à sa place. Leçon pour plus tard, pour demain : de ma chambre où j’écris, il y a encore des feuilles aux arbres, pour combien de temps ? Dans le vent, elles paraissent plus fragiles, mais demeurent, étrangement vibrantes et tenaces, certaines de revenir, même tombées demain, au premier printemps qui osera revenir.

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Arnaud Maïsetti - 27 novembre 2016


Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | CarnetsFacebook et Twitter @amaisetti.