Retrouvailles avec la Bête Maroc pour Yasmina Benabderrahmane au BAL
C’est une histoire entre deux rives, celle du Maroc d’hier où les matières sont à ras de la terre et des corps, et celle d’aujourd’hui, entre béton et rocailles. Depuis 2012, Yasmina Benabderrahmane traverse les dunes et les plaines de son pays d’origine qu’elle tente d’apprivoiser par l’image et les installations, après quatorze ans d’absence. La Bête est au BAL.
Après le frimeur Clément Cogitore, Yasmina Benabderrahmane est la seconde lauréate du PRIX LE BAL DE LA JEUNE CREATION AVEC l’ADAGP. Ce prix accompagne pendant deux ans la réalisation d’un projet de création s’inscrivant dans le champs de l’image-document, fixe et en mouvement, questionnant notre expérience humaine. La Bête, un conte moderne de Yasmina Benabderrahmane, a posé son installation au BAL jusqu’au 12 avril 2020 est un livre a été co-édité par LE BAL et MACK BOOKS.
On n’ira pas jusqu’à dire que le Maroc est illisible pour tous - mais ses transformations actuelles interpellent jusqu’à la photographe-vidéaste : « J’ai redécouvert un pays que j’avais complètement oublié, qui avait complètement changé. Même les membres de ma famille, je ne les ai pas reconnus. Alors je me suis mise à tout filmer, à vouloir tout cristalliser. Ces images font corps avec mon histoire, celle de ma famille. En les regardant, on voit que ma grand-mère a vécu simplement, en lien avec la tradition. Ayant été élevée par ma grand-mère, ce lien a beaucoup compté pour moi, même si nous habitions en France et non dans le pays où elle est née et a grandi. » — Yasmina Benabderrahmane
-> Ne pensez pas qu’on adore diffuser des photos floues, mais ce sont des copies d’écran des installations proposées :-)
Dans la vallée du Bouregreg, à quelques kilomètres de Rabat, un nouveau centre culturel, théâtre et musée archéologique, chantier pharaonique du roi, semble une bête couchée, figure d’une modernité en cours qui ronge le paysage et change, peu à peu, la physionomie d’un pays ancestral. La Bête ne dort pas, elle gonfle, ronfle et s’installe, grossit de jour en jour et impose son architecture aux allures de carapace. Plus loin, sur les pentes désertiques, calleuses, pelées de l’Atlas sommeillent des villages pavés de temps mort, de traditions que l’on se passe de mains en mains, et où on peut encore entendre la voix adoucie du bouche à oreille et des contes qui rassemblent les familles le jour de l’Aïd.
Yasmina Benabderrahmane nous invite à suivre le chemin qui serpente entre ces deux mondes. Son travail est habité par son histoire familiale, entre métaphore et fragments bruts. Il y a l’Oncle d’abord, géologue, responsable de la Bête de la vallée du Bouregreg, garant des sols et de la mémoire, et il y a la grand-mère, un peu plus loin, à Chichaoua, qui boucle le temps et tresse les coutumes, entre henné et viscères.
De ces espaces et de ces corps familiers où se joue l’histoire contrariée du Maroc contemporain, Yasmina Benabderrahmane cherche à s’approcher du détail et des matières, des mains qui façonnent, qui agissent ou reproduisent, au fil des âges, les mêmes gestes. Dans les soubresauts saccadés de la pellicule, l’œuvre de Yasmina Benabderrahmane nous invite à une histoire marocaine minérale et instinctive, où les pierres dégoulinent et le sang caille, et où le regard de l’artiste se pose sur l’intimité du temps qui gît, passe et se retourne. » Adrien Genoudet (co-commissaire de l’exposition)
A regarder les installations des deux niveaux du BAL, on échappe à un quotidien parisien de klaxons et de coups de frein rageurs pour entrer dans d’autres dimensions qui tentent de faire des ponts entre des mondes anciens et nouveaux, et aussi à faire oublier le regard européen pour adopter, sur place, une vision maghrébine du Maroc actuel qui joue à saute-mouton avec ici et là-bas. De la terre au sang, des palais au bled, de l’architecture à un quotidien ancestral, un travail se joue à démonter les regards pour suivre les clichés et prises de vues de Yasmina Benabderrahmane. A l’heure où l’info ne circule plus par les canaux télévisés que par la voix de son traître, à vous de voir, si vous avez envie de vous laisser aller à la vision de la Bête, ce temple au monarque, titanesque projet en cours ou si vous voulez rester de ce côté-ci (européen) de la vision. Dans les deux cas, l’expo vaut le détour ) - et c’est peut-être le livre issu du projet qui en donne d’autres clés.
Co-édité par Mack Books et LE BAL, La Bête, un conte moderne de Yasmina Benabderrahmane est le premier livre publié par la jeune artiste française. Cet ouvrage, composé uniquement de photogrammes issus de son travail filmique, en noir et blanc et en couleur, plonge le lecteur au cœur du projet réalisé par Yasmina Benabderrahmane au Maroc entre 2012 et 2019. Entre métaphore et fragments bruts, surgissent au fil des pages les différents protagonistes de ce conte visuel : l’Oncle, la Grand-Mère et la Bête. De ces espaces et de ces corps familiers, où se joue l’histoire contrariée du Maroc contemporain, Yasmina Benabderrahmane cherche à s’approcher du détail et des matières, des mains qui façonnent et reproduisent, au fil des âges, les mêmes gestes. Des textes d’Adrien Genoudet viennent dialoguer avec les images, ajoutant une voix supplémentaire à ce conte polyphonique. Un entretien de l’artiste, réalisé par Adrien Genoudet, complète le livre.
La Bête, un conte moderne de Yasmina Benabderrahmane -> 12/04/2020
Livre = La Bête, un conte moderne de Yasmina Benabderrahmane, co-édition Le BAL/ Mack Books
Le BAL 6, impasse de la Défense 75018 Paris
Jean-Pierre Simard le 21/01/2020