Le 94 se joue des horizons du jazz avec les 29e Sons d'Hiver
On a bien raté l’ouverture, vendredi dernier, des 29e Sons d’Hiver au Kremlin-Bicêtre qui affichait Kris Davis et Vijay Iver, tout comme Claudia Solal avec Benoît Delbecq, avant Fred Frith le lendemain. Mais, jusqu’au 8/02, l’affiche reste copieuse pour les tous les amateurs de musique à géométrie et sons variables, à partir du jazz… Intro et coups de cœur.
Fabien Simon, directeur du Festival l’introduit comme suit :” Que de simples vibrations de l’air produisent en nous de si grands effets reste une énigme. A défaut de la résoudre, Sons d’hiver invite des artistes portés par cette force magnifique et tenace, extraordinaire et mystérieuse qu’est l’urgence créatrice, et qui convoquent les sons, se jouent d’eux, les apprivoisent, jusqu’à provoquer l’admiration, la contemplation. La danse, la transe. Parfois même un certain vertige, une incompréhension. Quoi qu’il en soit quelque chose qui nous fasse nous sentir vivants. La musique porte en elle une universalité. Trait d’union entre les peuples, elle nous relie. Puissions-nous rêver qu’elle nous rassemble. “
Pour tous les malentendants, Fabien Simon a mastiqué la définition du jazz pour mieux la recracher élargie ( paix à son estomac !) du côté de l’impro et de la musique qui se bouge dans ses limites pour la dire aujourd’hui avec sa propre énergie et ses découvertes. Le grand écart est là qui fait jouer aussi bien le Quatuor Bela avec l’artificier de la chanson française Albert Marcœur ( autrement dit le Zappa français) et l’Art Ensemble of Chicago pour son cinquantenaire, avec de nouveaux membres, après la disparition de certains membres historiques. La topographie est assurée par Christian Favier, Président du Conseil départemental du Val-de-Marne qui en donne forme et contenu : Soit donc 12 villes du 94 et le Mac Val pour délivrer la bonne parole … avec de projets inédits en France, plusieurs concerts de sortie d’album et une soirée exceptionnelle pour les 50 ans de l’Art Ensemble of Chicago, Sons d’hiver 2020 réunira ainsi, dans le Val-de-Marne, de très nombreuses figures incontournables de la scène jazz internationale, parmi lesquelles plusieurs femmes et quelques OVNI... Jetant des ponts entre les États-Unis d’Amérique et la France, l’Inde, le Brésil, l’Italie, le Japon, l’Egypte, la Chine ou encore le Canada, leurs propositions pousseront encore plus loin le métissage des cultures pour une exploration toujours plus passionnante des paysages sonores et du champ jazzistique, avec, toujours, pour unique fil rouge, la liberté de créer et l’envie de partager avec le plus grand nombre. En clair, c’est copieux, fourni, malicieux et pas cher. Quelques raisons de s’y déplacer, avec l’intégrale ici pour voir et réserver. On y retrouvera toujours les Tambours conférences et autres workshops pour diverses découvertes et rencontres avec des musiciens programmés.
Si, a priori, beaucoup de concerts sont à voir, on va quand même se tourner vers quelques incontournables qu’on a repéré récemment ou plus et qui nous intriguent durablement, pour diverses raisons. Ainsi, le 30 on ira à Alfortville voir John Medeski solo et Jaimie Branch, révélation de l’an passé.
Medeski hors de la trinité explosive et consacrée où il côtoie Martin & Wood. Bref, voici John Medeski en solo, sans trio, certes, mais avec un piano. Au clavier d’un Steinway ou devant un orgue Hammond, Medeski sait composer avec le funk vintage comme avec l’avant-jazz, le post-rock et l’after-beat. Diable précoce mais soliste tardif, John Medeski sort son premier disque en solo, A Different Time (Okeh Records), en 2013. Ado, on l’aura vu avec Jaco Pastorius. Adulte, on l’aura entendu figurer dans la liste des pierres angulaires du jazz contemporain, ébouriffer des progressions harmoniques aux côtés de Marc Ribot, bousculer les limites de son propre répertoire avec John Scofield, les Blind Boys de l’Alabama et le Dirty Dozen Brass Band ou encore allant fricoter avec le rock chez Don Was et Sean Lennon. Liste à compléter à l’envi. (Piano et orgue Hammond)
Certains motards foncent tête baissée, leur belle gueule au vent et un patch dans le dos brodé d’un Ride or Die lisible de loin quand ils avalent l’asphalte. Jaimie Branch, trompettiste free très tranchante, chicagoanne devenue new yorkaise, apôtre de l’underground façon hip hop, a remplacé le Ride par un ‘Fly’ recueilli d’une devise héritée de son père. De chevauchée, il en est visiblement question dans Fly Or Die dont l’opus number II est sorti en octobre 2019 (International Anthem). Mais pas de chevauchée fantastique. De chevauchée magnétique, plutôt. Et avec les deux ailes collées aux pistons, Super Jaimie irrigue de ses stridences un jazz libre et carrément frondeur. D’une impatience et d’une précision confondante, jusque dans ce chant viscéral : « It’s a love song / for assholes and clowns ». Reste encore à choisir son camp. (Jaimie Branch - trompette, voix | Lester St. Louis - violoncelle | Jason Ajemian - contrebasse | Chad Taylor - batterie)
20,30h au POC ! Parvis des Arts (angle des rues Bourdarias et Franceschi) 94140 ALFORTVILLE
Et le premier Février, on filera à Fontenay-sous-Bois, écouter l’orgue de Jaimie Saft qui a sorti un album furieux qui renouvelle le genre et goûter aux infrabasses toujours bienvenues du bassiste extraordinaire Bill Laswell.
Rare. Jamie Saft, chantre acoustico-groove, prolongateur des explorations spatiales de Sun Ra, champion du métal microtonal voire héraut d’une syncope à l’énergie rock, atteste, sans faiblir et en toute circonstance, d’un élan créatif unique. Son New Zion Trio s’aventure dans les brumes du reggae où les rythmes dancehall, bourrés de secousses douces et de torpeur caribéenne, poussent du coude structures complexes et aérodynamique soul. Ici, le blues afro-américain danse dans les vapeurs classique d’une hypnose nourrie au spirit jazz version seventies, à la réverbération filtrée dub et à l’interplay d’un trio jazz. Avec ce trio, Saft rapproche la Great Black Music des productions léchées d’un King Tubby grâce à Christian Castagno, livedubbeur invité pour un set qui s’imposera à l’oreille dans toute sa fluidité et sa profondeur d’ancrage. (Jamie Saft - claviers | Bradley Jones - basse électrique | Hamid Drake - batterie+ Christian Castagno - live dubs)
Il y aurait donc une méthode à la défiance, une formule au scepticisme ? Oui ! Bass-hero au son hénaurme et admirateur de reverb’ à la vue longue, Bill Laswell expose bel et bien une théorie, sa théorie, sa Method Of Defiance. Et la bande sonore qui va avec. Le bassiste a toujours imposé ses propres règles avant de lancer une partie,. Celle-ci, il l’a imaginée, de son propre aveu, comme un music-hall dub, électrique et se jouant très fort et très vite….très vite et très fort…fort… ort… Laswell ne craint pas l’écho. Celui des audaces sonores où se frottent le cornet et les effets électroniques de DJ Logic et Dr. Israël, celui où huit musiciens sont tournés, comme un seul homme, vers la quête d’une musique instantanée et sans cesse remise en jeu. Play it again, Bill and play it loud ! (Bill Laswell - basse | Dr. Israel - voix, électronique | DJ Logic - platines | Graham Haynes - cornet | Peter Apfelbaum - saxophone, flûte, claviers | Josh Werner - basse, claviers | Dorian Cheah - violon électrique | Guy Licata - batterie)
20,30h Salle Jacques Brel - 164, Boulevard Gallieni - 94120 FONTENAY-SOUS-BOIS
Et, juste avant le clôture, on retrouvera le 7/02/2020 à Créteil, Will Guthrie en solo et l’art Ensemble of Chicago ; le premier, batteur émérite qui repense l’usage de son instrument à chaque performance et la nouvelle formation de l’Art Ensemble pour démarrer sa second demi-siècle de Great Black Music…
Si on le croise régulièrement entouré de la crème de la crème des stakhanovistes de la free music actuelle (Roscoe Mitchell, Jean-Luc Guionnet, Julien Desprez, Erwan Keravec, Keith Rowe…), c’est sans doute en solo que l’on perçoit le mieux le génie rythmique de Will Guthrie, batteur percussionniste australien ayant posé ses valises en France au début des années 2000. S'affichant comme un homme nourri aux sons collectés tout autour du monde, il ne fait entendre que ce qu’il en a digéré. Les racines sont apparentes mais la modernité est en mouvement constant. Écouter et surtout voir Will Guthrie jouer en solo est une expérience proche de l’étourdissement, de la catharsis, presque un moment de vérité, en tous les cas une révélation. ( Will Guthrie - batterie, percussions)
Le concert événement du Festival -> The Art Ensemble of Chicago - To "Great Black Music - Ancient to the Future" A Tribute to Lester Bowie, Joseph Jarman, Malachi Favors Maghostut
Légende et symbole. Cette date associe l’une à l’autre, et vice-versa. Un groupe-mythe qui vient fêter son cinquantenaire à Paris, là où il est quasi-né. De jeunes voix-promontoire de la Black Culture comme Moor Mother qui rejoignent ce groupe-monde ayant toujours su renouveler ses sortilèges. "Nous sommes sur le fil du rasoir !", dit-elle. Bien, reprenons, brièvement. L’Art Ensemble nait en 1967 dans le giron chicagoan de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM) et des luttes Afro-américains pour les Droits Civiques. Exilé à Paris en juin 1969, le combo devient alors l’Art Ensemble of Chicago, et enregistre des sessions séminales et dissipées comme A Jackson In Your House pour le tout jeune label BYG. De retour aux Etats-Unis, en 1971, Lester Bowie, Joseph Jarman, Roscoe Mitchell and Malachi Favors, ses trublions fondateurs, continuent d’explorer les bases d’une Great Black Music engagée, créative et populaire. 50 ans plus tard, Famoudou Don Moye et Roscoe Mitchell invitent 15 autres musiciens, à unir l’ancient au future, à fêter une vision collective loin d’être assagie. Intégrant des éléments tirés du rap et du lyrique à ses propres trouvailles historiques, l’Art Ensemble ajoute encore une once d’intranquilité fascinante à sa légende. ( Roscoe Mitchell - saxophones sopranino, soprano et alto | Famoudou Don Moye - batterie, percussions (congas, djembé, dundun, gongs, congo bells, bendir, triangles, thaï bells) | Moor Mother (Camae Ayewa) - spoken word | Erina Newkirk - soprano | Rodolfo Cordova-Lebron - basse | Hugh Ragin - trompettes, buggles, thaï bells | Nicole Mitchell - flûtes, piccolo | Simon Sieger - trompette, tuba | Jean Cook - violon | Eddy Kwon - alto | Tomeka Reid - violoncelle | Brett Carson - piano | Silvia Bolognesi - contrebasse | Jaribu Shahid - contrebasse | Junius Paul - contrebasse | Dudù Kouaté, Enoch Williamson, Babu Atiba - percussions- Steed Cowart - chef d'orchestre. )
20,30h Maison des Arts - Place Salvador Allende 94000 CRÉTEIL
On vous avoue quand même notre curiosité pour le psychédéllsme turc qui dévoilera ses mélopées anatoliennes redéployées pour le XXXIe siècle à la Cité Universitaire, mais on ne peut pas être partout ni tout le temps dehors… A découvrir anyway, Elektro Hafiz et Baba Zula avec Mad Professor ( allô You Tube … ) Sur ce, bon festival et restez curieux.
Jean-Pierre Simard le 20/01/2020
Sons d’Hiver 2020 -> 8/02/2020 dans le 94