Quand Saint Vincent laisse les clés du camion Masseduction à Nina Kraviz…
Le problème avec les meilleurs artistes du rock contemporain est que, malgré leur talent, les recettes employées tombent vite des oreilles sur le bout des doigts de pied… occasionnant au passage, un certain désamour. La faute aux recettes employées ? Alors, quand Saint-Vincent offre un album à Nina Kraviz pour lui redonner des couleurs plus actuelles et groovy, on tend de suite le pavillon pour en savoir plus…
Souvenons-nous des années 90 et des CD singles qui offraient, en plus des titres accrocheurs voulus par le marketing des labels, un ou des remixes qui faisaient les délices des radios underground anglaises - pour en arriver au plus tôt à la Masseduction… La drum’n’bass et le garage britton ont ainsi fait leurs preuves sur des titres qui servaient de caution moderne à des groupes loin du propos ou bien, comme Massive Attack avec les Négresses Vertes ou Nusrath Fateh Ali Khan, à les faire découvrir à un tout autre public.
A l’origine de Masseduction, on a ça : avec son cinquième album, la talentueuse et excentrique Annie Clark, alias St. Vincent, nous ouvre les portes de son monde. Elle y raconte sa vie, entre rock un brin barré (« Fear the future ») et chouette ballade (« Happy birtrhday, Johnny ») avec, ici et là, une pointe d’érotisme (« Savior »). La voix quasi-robotique de la chanson-titre dévoile ainsi les fantasmes qui l’habitent. Si cela parle d’amour et de rupture, ce nouvel effort aborde une kyrielle d’autres thèmes : l’automédication avec « Pills » - dont le mot est répété comme un slogan -, la mort, la drogue, le suicide ou encore les jeux de pouvoir.
Musicalement, l’ensemble sonne pop que St. Vincent la colore au gré de ses délires, guitares saturées, synthés (« Los Angeles »), saxo ou violons (« Slow disco »). C’est funky sur la chanson-titre, prend un aspect new wave sur « Sugar boy » et devient plus intimiste lorsque, piano-voix et chant délicat, elle évoque « New York .» Bon, ok, on a bien un disque de rock indé qui louche vers l’ailleurs avec une excentrique qui n’en fait qu’à sa tête- et avec beaucoup de talent. Mais elle a bien senti la lassitude venir…
Alors, en laissant beaucoup de latitude à Nina Kraviz, la DJette russe, elle y cherche vraiment autre chose. Et, Nina, nantie des clés du camion Masseduction se repointe avec pas moins de 21 remixes qui réimaginent l'indie-pop de St Vincent en techno, house et acid. Kraviz a travaillé avec un grand nombre de producteurs pour réaliser cet album, mais en se donnant la possibilité de produire trois de ces remixes, Kraviz nous offre notamment la rave fantomatique de son remix en version Gabber Me Gently de Slow Disco. Une sélection d'artistes, tels que Buttechno et PTU, qui sortent sur le label трип de Kraviz (prononcez trip), se lancent dans l'action avec des beats conçus pour travailler le sol du dancefloor. Ce sont des groupes comme Pearson Sound, Mala et Hieroglyphic Being qui produisent ici les meilleurs remixes, nettoyant proprement les sources indie-pop pour exprimer les émotions de ces chansons dans un paysage sonore électronique abstrait et impressionniste. C'est juste la Masseduction telle qu'elle aurait pu être libérée dans un univers alternatif. On va dire le notre - et demander tout simplement à Annie Clark de ne plus perdre de temps et de produire directement son prochain album avec Nina Kravitz. Nul ne sait si dans 15 ans, on en aura aussi marre de la techno; mais en attendant, cela ouvre encore bien des perspectives musicales.
Jean-Pierre remixtamère Simard le 17/12/19
Saint Vincent & Nina Kravitz - Nina Kravitz presents Masseduction Rewired - Loma Vista Recordings