"Je réfugie, tu réfugies, il réfugie" : conjuguons nos idées en passant au verbe d’action !
C'est dans la rue que le Très précis de conjugaisons ordinaires de David Poullard et Guillaume Rannou est venu à notre attention. Cette conjugaison du verbe réfugier était collée sur un mur de Belleville. Une page extraite du numéro 5 du Précis, "La migration" , édité par la librairie Le Monte en l'air, 71, rue de Ménilmontant. Donc une affaire de quartier.
Conjuguer des chansons? C'est désormais possible grâce à David Poullard et Guillaume Rannou. Il suffisait d'y penser, mais pour cela, bien sûr, il fallait un petit grain. Car franchement, imaginer qu'on puisse décliner Be-Bop-A-Lula (Gene Vincent, 1956) à la troisième personne du pluriel de l'imparfait du subjonctif, ce n'était pas non plus gagné d'avance. Et pourtant, le résultat est là, indéniable, incontestable, rigoureux: qu'ils be-bop-a-lulassent. Si vous ne me croyez pas, allez donc voir vous-même dans le Très précis de conjugaisons ordinaires n°2 des auteurs susmentionnés, opuscule rouge publié par la libraire Le Monte-en-l'air et BBB/Fais-moi de l'art/ Les éditions BBB centre d'art. Vous pourrez même poser des colles à vos proches. Du genre: si je te dis: "Sex ils, elles eussent machiné", de quel temps causè-je? Si on vous répond qu'il s'agit de la troisième personne du pluriel du passé 2è forme du conditionnel de la chanson Sex Machine de James Brown, dites bravo. D'autres chansons peuvent paraître plus ardues à conjuguer, comme 99 Luftballer, pourtant là aussi c'est possible – mais pensez à prononcerneunundneunzig, quand même. Ma préférence, pour des raisons politiques évidentes, va à la deuxième personne du pluriel du futur antérieur du verbe "porcherire", tiré de la chanson Porcherie des Bérurier Noir: "Vous aurez porchéri!".
Vous aimez la grammaire, je le sens. Dans ce cas, vous risquer d'aimer Poésie du gérondif, de Jean-Pierre Minaudier, à paraître bientôt aux éditions Le Tripode. Sous-titré Vagabondages linguistiques d'un passionné de peuples et de mots, ce livre chante, dixit son auteur, "la poésie et la grammaire". Précisons que Jean-Pierre Minaudier n'est pas linguiste au sens strict – plutôt logophile. Certes, il se débrouille en estonien, mais son truc à lui, c'est la grammaire, ou plutôt les grammaires:
"[…] je collectionne les ouvrages de linguistique – j'en possède à ce jour très exactement 1 163, concernant 864 langues, dont 628 font l'objet d'une description complète. Je les dévore comme d'autres dévorent des romans policiers, comme le rentier balzacien dévorait les cours de la Bourse, comme les jeunes filles du temps jadis dévoraient Lamartine, frénétiquement […]."
Convenons qu'un homme qui se pâme en cherchant des détails sur la grammaire garifuna dans l'ouvrage de Nancie Guzalez: Sojourners of the Carribbean: Ethnogenesis and Ethnohistory of the Garifuna (Presses universitaires de l'Illinois, Urbana-Champaign, 1988, 252 p.) mérite un peu plus que notre attention. On trouvera même dans le livre de Minaudier une phrase en langue arava qui semble assez bien décrire la situation de notre beau pays au lendemain de ce premier tout des municipales: Abbuah sapm ivwel iyanyan saari rakian ti. Phrase qu'on peut traduire ainsi:
"Un sanglier est venu faire des dégâts dans le jardin."
Puissent les langues et leurs jongleurs nous sauver des grosses bêtes puantes qui nous empêchent de cultiver notre jardin…
Claro
Claro est écrivain, traducteur, éditeur, et maintenant feuilletoniste littéraire au Monde. Vous pouvez le retrouver sur son blog : Le Clavier cannibale.