Croquer la chair furieusement rose de Romy Alizée !
Dans un livre de photo de très belle facture, Romy Alizée propose une autre pornographie, queer, libre et très loin de la chair triste.
Une couverture Rose en papier (t)couché douce comme la peau. Massicotée et trouée pour laisser apparaître le regard de l’artiste en tête et son sexe au-dessus du titre : FURIE. Une sorte de glory hole à l’envers, un trou explicite qui révèle la pratique du « Face sitting » , où la belle s’assoie ostensiblement sur le visage de son beau, « lèvres contre lèvres » pour se faire jouir...
La sexualité de la photographe est au cœur de son travail. Elle clame le désir et le plaisir féminin, mais pas que. Voir dans ses photographies un simple inversement des rôles tromperait et raccourcirait son propos. Il y a du second degré dans les images, plusieurs lectures et la charge sexuelle et sexuée, provoque un décalage du genre. Un bruit qui parasite les images pornos courantes véhiculées par un patriarcat dominateur.
Une véritable alternative. Toutes les images du livre sont d’une douceur infinie. Même les plus crues. Les sexes sont beaux. Les corps sublimes loin de la dictature des images imposées.
Furie propose un épanouissement et une libération des femmes, une réappropriation des corps, du sien propre, mais aussi ce.lui.elle du ou des partenaires. La question de domination n’est pas éludée non plus. La mise en image des fantasmes, ne triche pas, ne joue pas, elle met en relation clairement, fétichisme, consentement, domination, tout cela dans un bordel que l’on ressent joyeux !
Ici chaque image semble parfaitement choisie et raconte exactement ce qu’elle doit raconter, avec sa part d’érotisme pur, sa part d’excitation, sa part de jouissance. Cela passe sans doute par le regard de Romy, qui fixe l’objectif. « Joconde » assumée, avec l’étincelle dans les yeux noir profond et cette franchise, qui bascule notre propre regard. Pas de culpabilité, pas de gêne, juste l’évidence d’être au bon endroit, au bon moment, avec la bonne personne.
Le noir et blanc, le bon choix du format et l’espace de la page donne à l’ensemble une vraie clarté, une lumière supplémentaire. Puis le cahier central ajoute une sensualité jusqu’ici frôlée. Du bout des doigts nous voici entrain de tourner les pages d’un cahier plus petit, encarté au cœur du livre. Curieusement, alors que notre geste est explicite, nous contemplons des portraits intenses et intimes. Là encore, des visages francs, profondément humains, sont d’une beauté indéfinissable. L’esthétique des prises de vues, la graphie des lignes des visages et des bustes, amènent notre regard à percer l’intimité. Ces portraits révèlent davantage l’intimité des corps sans jamais les montrer.
Les visages à nu dégagent une telle sensualité, ici, en plein milieu du livre, encarté entre les corps des pages, ils créent un point central, une attention, une pause naturelle, un basculement. Ils obligent à venir plonger nos doigts au centre du livre, pour y tourner délicatement les pages. On fait défiler alors, sur ces visages d’autres visages, le grain intense des bustes, des regards et des peaux, blanches, satinées, calmes…
Nous voilà déjà dans l’autre partie du livre, les images et le regard de Romy, encore plus noir, encore plus brillant, parfois vaguement détaché, continue de nous épier, comme miroir de notre propre regard.
Voyeur soyeux de papier à images qui ne cache rien, et qui ne montre pas vraiment non plus, accaparé par ses yeux, libre et attaché à la fois.
Et dans le dernier encart… une enveloppe noire, au papier rose. Une lettre, seul texte du livre, ni légende, ni signature… Un mot.
En espagnol, en voici la première phrase :
« Romy Alizée tiene 29 años y perdió su inocencia hace mucho tiempo. (…) »
Le temps est venu de fermer le livre à la couverture rose ; on y revient assurément, pour retrouver le regard et la liberté de Romy Alizée, comme le gage d’avoir un peu de la nôtre et puis aussi de celles.eux qu’on aime éperdument, à corps perdus et à â(r)mes égales.
Richard Maniere
Furie, Romy Alizée
édition Maria Inc