Qu'un son impur abreuve nos sillons : les sorties vite fait !

Comme d’habitude, La Nuit n’en a que faire des registres, des classifications et des dates de sortie d’albums. On va donc croiser ici de la world, du jazz et de la techno. Soyons curieux, restons soyeux. Envoi !

Konduku

On va bientôt vous parler en détail de Geju, le duo russe qui rebat à sa manière la techno, en rave comme sur disque, mais ce jour on va s’attarder sur Konduku et de son second album White Heron. De son vrai nom, Ruben Üvez, Konduku a sorti deux albums et une poignée de EP’s sur le label hollandais Nous'klaer Audio. Le premier, Kiran, était dédié à sa ville turque de Cappadoce préférée et adaptait, façon Bristol,la techno à d’autres paramètres. La musique y était agile et discrète, peut-être pas le genre à sauter immédiatement de la platine. Mais la jouer devant un public captif dans un club sombre et les effets pouvaient être envoûtants.
La musique de White Heron est épaisse avec des basses et intensément hypnotique, alimentée par des boucles que l'on pourrait écouter pendant des heures. En même temps, les morceaux ne restent pas immobiles - un étrange gazouillis ou un éclair de soleil n'est jamais loin. Cette combinaison permet une écoute captivante. Sur le morceau d'ouverture "Kenar", un rythme chantant se fraye un chemin à travers un brouillard d'ondes de synthétiseur. La ligne de basse suinte, se faufilant avec satisfaction dans la douce percussion. Même les applaudissements perçants, introduits à mi-chemin, ne peuvent vous faire sortir de votre transe. White Heron s’évertue à faire bouger les gens sur des rythmes subtils qui s'enfouissent dans le cerveau et le corps plutôt que de les intimider. C'est une musique de danse incroyable et non conventionnelle - d’où la parenté avec Geju… 

Chez les surdoués du piano jazz classique… je demande Errol Garner. Et hop ! Campus Concert, le sixième album d'Erroll Garner sur le label Octave marque un tournant dans sa carrière. Non seulement, ce sera son dernier enregistrement live, mais ce sera aussi le dernier à inclure le bassiste Eddie Calhoun et le batteur Kelly Martin, qui ont constitué son trio pendant près de dix ans. On ne sait toujours pas pourquoi, après un succès aussi remarquable, ils se sont séparés. L’album se déploie au milieu d'une double portion d'efforts encadrés de mambo et de pièces typiquement jubilatoires comme "Indiana (Back Home Again In Indiana)" et "Almost Like Being in Love", qui sont une poignée de prises peu communes sur des standards par ailleurs trop communs. Il était bien question de surprendre le public estudiantin du lieu et d’innover. Si cet album n’est pas à la hauteur du Saturday Night at the Village Vanguard du trio de Bill Evans, il réserve son lot de surprises et d’approches biaisées qui en font tout le sel. Recommandé… 

le label Vampisoul présente une réédition de l'album éponyme de Perú Negro, sous-titré Gran Premio Del Festival Hispanoamericano De La Danza Y La Cancion, sorti à l'origine en 1973. La musique afro-péruvienne, connue sous le nom de "música criolla", trouve ses racines dans la musique d'Afrique occidentale, les genres espagnols et européens et les traditions musicales indigènes du Pérou. Des sons d'influence flamenco côtoient des éléments tribaux africains et un instrument de percussion simple mais efficace appelé cajón. Après une longue lutte pour préserver la música criolla par la tradition orale au fil des générations, qui a en fait entraîné la perte d'une grande partie de la musique originale, un regain d'intérêt pour ces rythmes et ces mélodies est apparu dans les années 50. En 1969, le groupe a remporté le prix principal du Festival Hispanoamericano de la Danza y la Canción en Argentine. Le répertoire interprété lors du festival a ensuite été inclus dans cet album, initialement sorti en 1973 au Pérou et en Espagne uniquement. Les paroles et la musique de ces chansons reflètent la diversité multiculturelle du pays, mêlant des éléments de la tradition africaine et des échos de mélodies d'influence espagnole autour de récits sur l'époque de l'esclavage, le travail rural et le folklore. Bien que moins connus que les musiques des autres pays voisins, les enregistrements de Peru Negro rappellent les rythmes afro-colombiens ou afro-cubains. Une redécouverte passionnante au vu du champs exploré.

Comme ça fait des mois qu’on l’écoute, vous saurez attendre la mi-février pour l’écouter ne entier. Voici déjà la kro du premier album de Felix Kubin et Hubert Zemler, un duo germano-polonais qui agit sous l’appellation C.E.L. , un genre de laboratoire de test pour les cadences rythmiques et les décharges électrostatiques. Sous la direction du producteur hambourgeois Tobias Levin, ils ont créé sept instrumentaux enrichis au vibraphone, au xylophone et aux percussions africaines. La mécanique dépouillée de Zemler et l'électronique erratique de Kubin s'accordent à merveille. Un sentiment d'agitation concentrée imprègne l'album : dans le grand courant des choses, certains morceaux sont sur le point d'éclater, tandis que d'autres atteignent les plus hauts sommets de la folie. Et pourtant, chaque mouvement, chaque ton s'accorde parfaitement. Il y a de la méthode dans la folie, un exercice d'excès systématique. Une déconcertante impulsion électronique trace un chemin filtré à travers "Ping Korridor". En l'espace de plus de dix minutes, l'atmosphère passe de l'oppression à l'ouverture. En effet, des rebondissements inattendus se cachent dans de nombreux morceaux, captant l'attention de l'auditeur. Au contraire, le film avance à toute allure, les yeux grands ouverts, de plus en plus profondément dans l'affaire. Des synthés fantomatiques scintillent dans "Lichtton", ponctués par une batterie minimaliste. Aucun squelette de vague ne danse sur les rythmes déchiquetés de "Elektrybałt". La "Funkenkammer" est un monstre d'acide destiné à vous déchiqueter les nerfs. "Jimmy Carter" envoie des ondes de choc sur la piste de danse, provoquant des collisions entre corps et objets. Vous vous demandez peut-être : "Comment une telle chose est-elle humainement possible ? Comment quelque chose d'aussi anguleux, d'aussi intrinsèquement teutonique, peut-il groover aussi sauvagement ?" Avec cet album, Felix Kubin pousse ses générateurs de sons jusqu'aux limites extrêmes du spectre des fréquences. Hubert Zemler délivre des rythmes d'une force merveilleuse, semblables à ceux d'une machine, et des collages sonores sombres. Un album qui sonne comme s'il avait toujours existé comme une source d'inspiration pour des générations de musiciens. Un album intemporel et sacrément barré !

Jean-Pierre Simard le 22/01/2020

Konduku - White Heron - Nous'klaer Audio
Erroll Garner - Campus Concert - Octave Records
Peru Negro - Peru Negro - Vampisoul Records
Felix Kubin & Hubert Zemler - CEL - Label Bureau B.