L’école flottante qui a sauvé Makoko

Makoko, Lagos. Photo: Iwan Baan

Makoko, Lagos. Photo: Iwan Baan

Vivre et travailler à Makoko. En arrière-fond, l'école. Photo : Iwan Baan

Vivre et travailler à Makoko. En arrière-fond, l'école. Photo : Iwan Baan

Quatre vingt mille personnes vivent dans des conditions à peine croyables à Makoko, une sorte de bidonville surnageant comme il peut dans la lagune de Lagos, Nigéria, une des plus grandes villes du monde (douze millions d'habitants intra-muros en 2012, au sein d'une agglomération de plus de 21 millions). Makoko est le plus ancien bidonville de Lagos, qui s'est construit tout seul au fil du temps sur des pilotis de fortune. Ses habitants n'y bénéficient d'aucune structure ou aide de la municipalité, qui s'est longtemps contentée de laisser faire (ce qui n'est pas non plus complètement mal), baissant les bras devant ce qui semble un problème insurmontable : organiser le chaos dans les pires conditions. Mais il y a du nouveau : le développement économique du Nigéria, et les perspectives de transformer cette vue sur la lagune gratuite pour les pauvres en argument de vente pour de fructueux immeubles de luxe donnant sur une marina fait craindre à la population de Makoko son soudain délogement pour faire place aux promoteurs. Trois mille habitants ont déjà été déplacés. Les milliers qui restent, vivant de la pêche et du séchage de poisson (Makoko sent le poisson, et la fumée des ateliers où on le conditionne pour l'envoyer sur les marchés, où il est une des grandes sources de protéine), sont légitimement inquiets de ce qui va leur arriver : le gouvernement nigérian est de deux qui peuvent très bien ne pas bouger un petit doigt pour un quartier pendant quarante ans, puis soudain envoyer l'armée pour en déloger tous les habitants en 72 heures. C'est d'ailleurs ce qui avait été annoncé en 2012, mais cela s'est heurté à une résistance certaine des habitants. Le projet de développement a été repoussé, mais pend toujours au nez de Makoko. Une communauté soudée par une vie totalement à part - au fil des années, des canaux ont été créés par les habitants, parcourus par des pirogues-taxi, des marchés sont nés, des modes de construction aussi, autour de la devise : "Tout ce qui flotte est bon", et de l'art d'utiliser des matériaux de récupération. Mais une communauté à qui manque des symboles, des lieux de regroupement, de décision collective.

C'est là qu'est intervenu l'architecte Kunlé Adeyemi, fondateur du studio Nlé, arrivé sur les lieux lors de la première éviction des habitants de Makoko, qu'il avait décidé d'aider. En discutant avec les habitants, il s'est rendu compte que le mot "école" revenait souvent. Comme quelque chose qui symbolisait la continuité de la vie de Makoko. Sa quête de dignité aussi. Son envie de reconnaissance. En adoptant les habitudes de construction des habitants, leur savoir-faire et les mêmes matériaux qu'eux, il a conçu le projet de l'école flottante de Makoko, qu'on voit maintenant depuis 2013 en traversant le plus grand pont d'Afrique. L'idée était de faire aussi de l'école une sorte de mairie le soir, un lieu de réunion, qu'on verrait de partout à Makoko. Comme un étendard rappelant aux habitants qu'ils avançaient.

Il fallait que l'école soit construite sur place, ne coûte pas cher, et surtout, soit reproductible, comme un modèle d'habitat adapté aux lagunes et aux zones côtières, susceptible d'être copié en masse. Comme un recommencement. L'écolde de Makoko a maintenant son "pin" sur Google Maps, et en avril cette année, le Ministère du Développement urbain a annoncé qu'il examinerait l'inclusion de l'école dans les "plans de régénération" de Makoko, qu'on semble avoir renoncé (provisoirement ?) à rayer de la carte.

Une belle histoire.

 
Photograph: Iwan Baan

Photograph: Iwan Baan

 
 

Et Makoko demain, rêvée par le Studio Nlé.