"Underground" rend hommage aux génies souterrains de la musique

La reconnaissance derrière laquelle courent la plupart des artistes ne vient jamais d'où on l'espère. Qu'elle vienne d'une bande dessinée est tout à fait surprenant. Ainsi “Un Drame Musical Instantané” se voit gratifié de six pages dans Underground, l'impressionnant pavé, qui en compte 300, du scénariste Arnaud Le Gouëfflec et du dessinateur Nicolas Moog.

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Si nous sommes en bonne compagnie entourés par Captain Beefheart, Eugene Chadbourne, Kevin Coyne, Brigitte Fontaine, Lee Hazlewood, Daniel Johnston, Lydia Lunch, Moondog, Colette Magny, Nico, Nurse With Wound, Éliane Radigue, The Residents, Raymond Scott, Patti Smith, Yma Sumac, Sun Ra et Boris Vian, je découvre nombreux musiciens dont j'ignorais pratiquement tout. Dévorant cette bible qui rend pour une fois hommage aux inventeurs et non à celles ou ceux qui ont exploité leurs découvertes, je pars aussitôt écouter Bill Childish, Alex Chilton, Cosey Fanni Tutti, les Cramps, Crass, Merrell Fankhauser, Peter Ivers, Jonathan Richman, Sky Saxon, les Tall Dwarfs, Tucson, Townes Van Zandt et quelques autres, la majorité ayant anticipé le folk rock, le garage, le punk ou l'indus, mouvements qui m'étaient étrangers à l'époque, pour leur préférer des trucs encore plus barjos, ou les nouveaux jazz et la musique contemporaine. Sont aussi intégrés d'excellents chapitres sur le Krautrock, le Dub et le Black Metal.

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L'étude est évidemment orientée rock ou du moins vers des artistes qui ont influencé le rock et séduit leurs thuriféraires, même s'ils vivent en dehors de ce mouvement. Ce remarquable travail tant éditorial que graphique est d'ailleurs sous-titré "Rockers maudits & grandes prêtresses du son" ! Pour une fois, de jeunes rapporteurs ne répètent pas inlassablement le mythe imposé par les journalistes de l'époque initiale. Ils ont fouillé les soubassements de l'Histoire pour exhumer les bases de ce qui deviendra plus tard les ferments de la mode. Il faut du temps pour imaginer des alternatives comme il en faudra ensuite à d'autres pour les développer et les exploiter. Ce sont deux manières d'aborder la création ! Souvent ces derniers ont reconnu ce qu'ils devaient à leurs aînés ou à celles et ceux qui les ont inspirés. Ainsi reviennent plusieurs fois les noms de bénéficiaires curieux, David Bowie, Nick Drake, Thurston Moore, Kurt Cobain, Steve Stapleton (avec la Nurse With Wound List), Steve Reich, etc. Comme dans toutes les encyclopédies, il manque des artistes du même ordre (Harry Partch, Conlon Nancarrow, Ilhan Mimaroğlu, Silver Apples, White Noise, Syd Barrett, Scott Walker, Jacques Thollot...), mais les auteurs font des choix qui sont les leurs sans que ce soit des leurres. Chacun/e a ses poètes maudits au fond de son cœur.

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Michka Assayas s'est collé à la préface. Une discographie est suggérée en fin d'ouvrage ; y sont chroniqués 72 albums avec leurs pochettes redessinées. Et puis aussi, au fil de la lecture, des pages presque blanches, comme des intercalaires, énigmatiques car sans mention particulière, indiquent des petits bijoux dont je n'avais jamais entendu parler : les drones de Spiritflesh ‎de Nocturnal Emissions (1988), Valentina Magaletti jouant sur la batterie fragile de l'ami Yves Chaudouët (2017), la communauté religieuse The Trees interprétant The Christ Tree (1975), les impros transcendantales de Master Wilburn Burchette sur Mind Storm (1977), la compilation clandestine Cambodian Rocks (1995), le rock psyché Danze of the Cozmic Warriorz du Zendik Farm Orgaztra (1988), la cassette Mémoires de l'homme fente de Vimala Pons (2020) ou les Fantastic Greatest Hits de Eilrahc Elddew ta.k.a. Charlie Tweddle (1971, publiés en 1974). Étonnamment ce sont ces pistes à creuser qui m'excitent le plus. En plus de ces petits bonus assez secrets (j'en fournis exceptionnellement les liens puisque rien n'est indiqué dans la BD), les pages de garde énumèrent encore des dizaines d'artistes qui se joignent aux cinquante élus et dont j'ignore honteusement la plupart.

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Pour illustrer mon article, j'ai évidemment choisi les pages évoquant le Drame et mon récent travail solo, que l'auteur a gentiment sous-titrées L'élixir de jouvence. "Birgé fait feu de tout bois, et sa démarche évoque celle d'un alchimiste, curieux de tout et inlassablement créatif. [...] Le Drame est à compter parmi les formations audacieuses et les plus originales, dont les audaces transdisciplinaires sont le cauchemar des perpétuels poseurs de cloisons. Un groupe sans équivalent ici, qu'on ne peut rapprocher que d'OVNIs comme les Residents. Quel est le secret de son insolente santé ? [...] Ce plaisir du jeu qui guérit de l'ankylose et des sécheresses du dogmatisme, et donne accès à la créativité perpétuelle." Arnaud Le Gouëfflec rappelle, entre autres, notre initiative du retour du ciné-concert et mes concepts cinématographiques appliqués à la musique. Je suis également sensible au choix des trois disques nous concernant, à la fin de l'ouvrage, puisqu'à côté de Rideau ! (1980) figurent les 24 heures inédites de l'album Poisons (1976-79) et le CD de mon Centenaire (2018).

Si l'aspect éditorial est extrêmement fourni, le dessinateur Nicolas Moog joue magnifiquement sur les contrastes du noir et blanc, s'appuyant sur une documentation originale. L'ensemble offre un véritable point de vue sur la musique hors des sentiers battus et une aventure graphique exceptionnelle.

Jean-Jacques Birgé le 20/04/2021
Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog, Underground, Ed. Glénat, 30€