La geste de Hans Hartung au MAM
Auteur de 15 000 œuvres, Hans Hartung a traversé le siècle dernier en totale liberté, malgré le fascisme allemand et la disette d’après-guerre. L’actuelle rétrospective du MAM donne à voir quelques trois cent œuvres, issues de collections publiques et particulières et, pour une grande part, de la Fondation Hartung-Bergman. Remarquable !
Né à Leipzig en 1904, Hans Hartung est considéré comme un chef de file de la peinture abstraite. Son parcours débute en 1922 avec des premières aquarelles qui frappent par leur pure expressivité, alors même qu’Hartung ignore les théories de Kandinsky, dont il ne découvre l’œuvre que quelques années plus tard. C’est le début d’une carrière qui durera près de soixante-dix ans et sera rythmée par d’incessantes innovations formelles et techniques.
Les années 1930, marquées par une vie de plus en plus précaire et quasi-nomade entre la France, l’Allemagne, la Norvège ou encore l’Espagne, sont aussi celles durant lesquelles Hartung met en place son vocabulaire formel. S’émancipant du cubisme et, restant à distance du surréalisme, il commence alors à produire ses peintures en reportant, selon la technique de mise au carreau, ses petits formats exécutés spontanément sur papier, selon un procédé qu’il emploiera jusqu’en 1960. Présenté comme le chef de file d’une peinture gestuelle, lyrique et émotionnelle, il se passionne pourtant aussi pour l’astronomie, les mathématiques, et sa peinture ne se comprend pleinement qu’en tenant compte de cette part rationnelle.
Hans Hartung reçoit, à la quarantaine, dans les années 1950, un excellent accueil critique. A participer à de nombreuses expositions, il est rapidement considéré comme le chef de file de l’« Art Informel ». En 1960, il reçoit le Grand Prix International de peinture à la Biennale de Venise. De grandes rétrospectives lui sont consacrées ensuite en Europe et aux États-Unis, avec une exposition monographique au Metropolitan Museum de New-York en 1975. Les années 1960 marquent un tournant. En recherche de nouvelles expériences, il renouvelle littéralement son œuvre, par l’utilisation d’une large panoplie d’outils qui lui servent à griffer, gratter la surface de la toile.
L’exposition dévoile autant la diversité des supports, les innovations techniques que la panoplie d’outils utilisés durant six décennies de production. Hans Hartung, qui place l’expérimentation au cœur de son travail, incarne aussi une modernité sans compromis, à la dimension conceptuelle. Les essais sur la couleur et le format érigés en méthode rigoureuse d’atelier, le cadrage, la photographie, l’agrandissement, la répétition, et plus surprenant encore, la reproduction à l’identique de nombre de ses œuvres, sont autant de recherches menées sur l’original et l’authentique, qui résonnent aujourd’hui dans toute leur contemporanéité. Hans Hartung a ouvert la voie à certains de ses congénères, à l’instar de Pierre Soulages qui a toujours admis cette filiation.
L’exposition est divisée en une succession de séquences chronologiques à partir de quatre sections principales. Affichant les peintures, elle comprend également des photographies qui ont accompagné l’ensemble de sa recherche artistique. Des ensembles d’œuvres graphiques, des éditions limitées illustrées, des expérimentations sur céramique, ainsi qu’une sélection de galets peints complètent la présentation et retracent son itinéraire singulier.
Afin de mettre en relief son parcours, en même temps que son rapport à l’histoire, la rétrospective propose documents d’archives, livres, correspondances, carnets, esquisses, journal de jeunesse, catalogues, cartons d’invitations, affiches, photographies, films documentaires, etc.
Figure incontournable de l’abstraction au XXe siècle, Hans Hartung ne se laisse pas pour autant circonscrire à ce rôle de précurseur, car sa vision d’un art tourné vers l’avenir, le progrès humain et technologique, nous questionne aujourd’hui encore. Le parcours met en tension et en dialogue ces deux aspects complémentaires qui constituent le fil rouge de cette exposition. Evidemment, un catalogue comprenant une quinzaine d’essais et une anthologie de textes est publié aux Éditions Paris Musées.
Il s’agit d’un état émotionnel qui me pousse à tracer, à créer certaines formes, afin d’essayer de transmettre et de provoquer une émotion semblable. Quant à moi, je veux rester libre. D’esprit, de pensée, d’action. Ne pas me laisser enfermer, ni par les autres, ni par moi‐même. C’est cette permanence têtue qui, tout au long de ma vie, m’a permis de continuer, de poursuivre ma voie. De ne pas me trahir, ni trahir mes idées.
Hans Hartung
L’œuvre d’Hartung est foisonnante, multipliant les recherches et les expérimentations, inventant son outillage comme son expression, conjuguant l’équilibre et la fluidité du geste, où le hasard du trait s’allie aux espaces solides de couleurs bienveillantes. Leur froideur n’est qu’apparente, il y a dans ces jaunes, dans ces bleus, dans ces bruns, des profondeurs implicites. Il n’y a pas dans les œuvres d’Hartung, la totalité inscrite dans chaque toile de Zao Wou Ki, la construction solide de Soulages, mais leurs univers se croisent, dialoguent. Par sa gestuelle libérée, le lyrisme graphique d’Hartung a su trouver un élan que la précision de son art n’a jamais freiné. On verra là l’itinéraire personnel d’un homme s’ouvrir à une expression qui condense les bouleversements jusqu’à un message universel. Une visite qui s’impose …
Jean-Pierre Simard le 13/01/2020
Hans Hartung- La fabrique du geste -> 01 /03/2020
M.A.M. 11, avenue du Président Wilson 75116 Paris