Mise à jour d'un classique : "We're New Again", ou Gil Scott-Heron par Makaya McCraven

Pile-poil dix ans après la disparition de Gil Scott-Heron, Makaya McCraven et le boss de XL Recording rejouent la donne du dernier album en date de l’auteur du fameux “The Revolution Will Not Be Televised”. A coup de basses qui évoquent le souvenir de Mingus et une batterie qui réinstalle la musique autrement, relecture chaloupée d’un classique.

Makaya McCraven

A 20 ans, inscrit à la Lincoln University de Pennsylvanie d’où sort Langston Hugues, Gil Scott-Heron a déjà publié, sans grand écho, son premier roman Le Vautour et s’apprête à enregistrer avec Brian Jackson, Small Talk at 125th & Lennox pour le label Flying Dutchman de Bob Thiele. Ce premier envoi est un coup de maître, influencé par les Last Poets qu’il va régulièrement voir jouer à New York. il ouvre une autre voie au hip hop balbutiant avec un scansion particulière et des arrangements dépouillés et on y trouve aussi bien Whitey on the Moon que la première version de The Revolution Will Not Be Televised. La première est un succès régional qui pousse Bob Thiele à le faire enregistrer le second, avec des musiciens de jazz de renom comme Bernard Purdie, Hubert Laws ou Ron Carter, Pieces of A Man qui sera un vrai succès qui le poussera à abandonner sa carrière de professeur pour se consacrer à la musique et l’écriture ( poèmes et romans.)

D”entrée, Gil s’affirme comme la voix engagée de la communauté noire, aux côtés de Black Panthers et de l’extrême-gauche, il sera toute sa vie poursuivi par la FBI pour son activisme politique et ira en prison à chaque incartade pour consommation ou revente de dope…  Toute sa vie, il sera celui qu’on cherche à faire taire, à l’ère du soupçon - et sous toutes les administrations, de Nixon à Bush. Il faut dire que la précision de son écriture et son sens de la formule choc en avaient fait un porte-parole à succès des luttes des blacks contre la ségrégation, le racisme et la connerie crasse, impitoyable chroniqueur d’une Amérique, mal de ses minorités. Il va y inventer à la fois une nouvelle façon de faire des chansons qui partant du rap va frayer son jazz et sa soul pour trouver sa voie et refuser d’être une star qui chante des conneries alors que sa voix lui ouvrait naturellement cette direction de travail. Sa carrière subira des haut et des bas, avec plusieurs interruptions pour abus de substance et d’alcool, jusqu’à sa rencontre avec Richard Russel qui produira pour XL Recordings, son label, le dernier et superbe album I’m New Here, en forme de testament et de retour aux sources. Ce dernier verra deux adaptations : We”re New Here avec Jamie XX et Nothing New à partir des bandes pré-produites. Jusqu’à aujourd’hui, où le batteur Makaya McCraven réinvente le propos en le tirant versant jazz et le réhabillant de couleurs sonores inédites.

On se retrouve devant un album déjà parfaitement abouti - un chef d’œuvre - qui jouait l’économie à la voix et au piano pour dire son fait, reprogrammé avec moult arrangements cuivres, guitares, batterie, percussions , flûte et chœurs. Le matériau de base et la voix de Gil se voyant ainsi appelés à réintégrer un sorte de chapelle ardente, qui sonne Great Black Music.

Pour avoir écouté toutes les versions de cet album, de l’électro de Jamie XX à l’originale, en passant par celle-ci, on se dit que Makaya connait bien le propos, il a sûrement été élevé au Gil…, et qu’il a gardé en tête tous les arrangements déjà utilisés par l’auteur du propos, au fil de ses nombreux albums, au point de faire sonner la flûte et les chœurs, voir les guitares, exactement comme sur d’autres titres connus. Ici, on joue à la fois l’adoration et la révérence, comme si monument infranchissable, la voix de Gil était et devait rester le point fort du propos. Heureusement, percussions et batterie sonnent différemment, appuyant le tempo ailleurs et lui refilant une actualité de production certaine. Mais la question reste ouverte de savoir pourquoi toiletter en hip hop jazz, un album qui s’offrait plus blues qu’autre chose ?

L’album étant déjà génial, lui redonner des couleurs d’aujourd’hui est un vrai pari que Makaya assure à fond en offrant une mise à jour 2020 vraisemblable et plausible sur tous les titres forts - dont le final est vraiment réussi (Me & The Devil) ; mais, sans vouloir être rabat-joie, si Gil Scott-Hero avait fait le pari de la simplicité, pourquoi vouloir absolument relire un truc qui tenait déjà debout tout seul ?

Si c’et le moyen envisagé par Arthur Russel pour perpétrer la mémoire de Gil, c’est bien vu à vouloir le faire découvrir à un nouveau public qui ne connaît pas forcément les passeurs du hip hop ; mais pour les fans, cela tient plus de l’exercice de style qu’autre chose à partir d’une œuvre testamentaire. Il existe dorénavant quatre versions de l’album : faites votre choix !

Jean-Pierre Simard le 7/02/2020
Gil Scott-Heron/Makaya McCraven - We’re New Again , A Reimagining by Makaya McCraven - XL Recordings/Beggar’s