Femme, vie, libération. Les combattantes kurdes vues par Sonja Hamad
Les jihadistes affirment que mourir de la main d'une femme bloque l'accès du paradis aux martyrs potentiels. Raison pour laquelle, de plus en plus de femmes kurdes prennent les armes pour lutter contre Daesh, car cela force les jihadistes à en tenir compte…
"Ce projet témoigne du désir collectif de laisser des traces du combat des combattantes de la liberté kurdes. Par celui-ci, je n'ai pas seulement tenté de saisir les caractères individuels de ces femmes, mais plus leur destin commun. Toutefois, cela n'empêche nullement d'en montrer les aspects de la culture kurde, en ce qu'elle possède de poétique. Ce projet va jusqu'à représenter les décombres de Kobani, ex-cité syrienne devenue ville-fantôme : dont les bâtiments n'existent plus que dans les souvenirs, avec leurs murs réduits en poussière d'où les fenêtres restantes s'ouvrent sur des paysages désertiques, quand le seul parfum qui s'en dégage se nomme désolation."
Sonja Hamad
Au fil du travail de Sonja Hamad, une relation forte s'est créée avec les combattantes. Ces femmes qui ont abandonné leur nom précédant en rejoignant la lutte, se nomment dorénavant “Haval,” ce qui signifie pour toutes "amies".
Toutes les femmes ici présentes ont été au front pour lutter contre les monstres de Daesh - et toutes risquent leur vie pour assurer des frontières à un pays qui n'en possède aucune - quand chacune en connaît précisément les limites territoriales ; celles du Kurdistan sauvage, une patrie attaquée de toutes parts. Mais ce combat n'est pas uniquement pour leur survie, il est pour leur droit à l'auto-détermination, la liberté et l'indépendance. La délivrance a un côté existentiel probant.
Quand l'une des combattantes décède, les autres la pleurent une seule journée. Dans un cimetière isolé, où seules les fleurs en plastique poussent encore, ses amies tirent en son honneur une rafale de Kalashnikov. Les peines et la perte sont réelles, mais il n'y pas le temps de s'y attarder. Quand elles ont peur, comme à pleurer leurs disparues, elles chantent aussi, c'est leur seule consolation.
On trouve pourtant là d'intenses moments de poésie qui font baisser la brutalité du temps. Mais bientôt celle-ci se venge. Les bombardements reprennent de nuit, et les combats aussi. On sent les détonations sous les pieds, comme un tremblement contenu. Cela dit, ce n'est que la guerre terminée et gagnée que les filles de la montagne (leur propre surnom) commenceront leur vrai combat.
La menace vient autant des attaques extérieures de Daesh que de l'intérieur. Le combat vers la délivrance se mène aussi contre les vieilles traditions qu'il s'agit de renverser. Le statut de combattantes les met hors la loi, mais dans leur pays, elles auront à les conquérir, car elles n'en ont aucun, de doit… Prises en étau, ces combattantes n'ont rien à perdre et tout à gagner.
Le reportage de Sonja Hamad dépeint des jeunes femmes encore presque adolescentes et d'une inflexible détermination, car elle croient fermement être plus fortes que les hommes qui les ont fait souffrir depuis des décennies. Elles arborent toutes leurs blessures comme des trophées et des fois, des pans de vêtements colorés s'échappent de leur uniforme, comme un rappel à la couleur et à l'enfance.
Hannah Zufall pour LensCulture, traduction Maxime Duchamps