Découvrir la BD taiwanaise avec Thomas Mourier
Cadeau, un gros dossier pour finir/débuter l’année ! À travers 4 articles clefs, je vous propose de découvrir la bande dessinée venue de Taïwan à travers un dossier thématique, des interviews d’artistes, de professionnels et d’universitaires, mais également de coups de cœur pour que vous puissiez lire quelques-unes de ces œuvres. Episodes 1 & 2 cette semaine.
Après nos dossiers sur la bande dessinée, le comics, le manga, après nos thématiques sur la fabrique de la bande dessinée, la condition des auteurices ou les coulisses du 9e art ; des livres thématiques dont un consacré à la bande dessinée asiatique ; voici un nouveau volet : focus sur un pays.
Pour la genèse de ce dossier, j’ai eu la chance de partir à Taiwan en octobre dernier, et en guise de souvenirs, j’ai voulu ramener non seulement des livres, mais aussi des interviews d’auteurices, d’éditeurices et de professionnels du monde du livre pour vous proposer un large panorama de la bande dessinée taïwanaise.
Dans ce dossier, vous trouverez une interview long format de I-Yun Lee, professeure d’histoire à l’université Chengchi de Taiwan pour revenir sur les liens entre l’histoire du pays et la bande dessinée, des chiffres clefs du marché. Je vous propose aussi des interviews d’artistes, publiés ou non en France, jeunes ou établis, mais également des interviews de responsables de maisons d’édition ou encore libraires pour compléter ce tour d’horizon vu de l’intérieur du pays.
Enfin je vous propose une liste de coups de cœur de livres disponibles en français pour que vous puissiez lire de la bande dessinée taïwanaise !
Découvrir la bande dessinée taïwanaise : ép.1 : Le marché du livre à Taïwan
Dans cet article, je vous propose de découvrir l’histoire de la bande dessinée taïwanaise, son évolution, sa perception et ses pistes pour le futur en compagnie de I-Yun Lee, professeure d’histoire à l’université Chengchi de Taiwan qui a bien voulu répondre à mes questions ainsi que quelques chiffres clefs.
« Taïwan a connu des grands changements au fil de son histoire, et cela contribue à ce que Taïwan produise des bandes dessinées de niche ou qui traitent de sujets sensibles. Telle devrait être la caractéristique et la force de la bande dessinée taïwanaise. »
Extrait de l’interview de I-Yun Lee à retrouver plus bas.
La bande dessinée taïwanaise en quelques chiffres
Selon le dernier rapport d’enquête sur les industries du contenu culturel de Taiwan en date, en 2021, le marché du livre représente 14 720 milliards de nouveaux dollars taïwanais soit 433,3 millions d’euros. Pour rappel, en France il est de 3 078,6 millions d’euros en 2021.
Plus spécifiquement, la bande dessinée représente 398 millions de nouveaux dollars taïwanais soit 11,7 millions d’euros. En France, à la même époque, il est de 889 millions d’euros, mais il faut dire que l’année 2021 est exceptionnelle comme le rappellent les analystes de GFK.
On peut noter que depuis mars 2021, le ministère de la Culture et le ministère des Finances taïwanais ont mis en place une politique d’exonération de taxes pour les entreprises culturelles et liées aux arts qui sont exonérées de taxe professionnelle sur le produit de leurs ventes ou publication. Une mesure qui aura probablement un impact sur les chiffres de 2022 et 2023.
Avec une superficie de 35 980 km2 et 23 588 613 habitants, l’île compte 591 librairies et boutiques d’occasion ainsi que 41 chaînes de magasins proposant un espace librairie dont 19 dédiées exclusivement au livre et à la papeterie. À ces magasins s’ajoutent 8 sites de librairies en ligne ainsi que des magazines papier et en ligne. Notons également qu’à Taipei, il existe une librairie ouverte 24 heures sur 24.
Côté législation, il n’existe pas de loi sur le prix unique du livre comme en France, et chaque vendeur peut appliquer ses propres prix.
La bande dessinée taïwanaise en quelques dates clefs
Un grand merci à I-Yun Lee d’avoir répondu à mes questions pas évidentes, mais dont les réponses donnent un aperçu, assez inédit en France, de la bande dessinée taïwanaise et permet d’en comprendre l’histoire et les enjeux.
I-Yun Lee est professeure agrégée à l’Institut de hautes études d’histoire de Taiwan, Université nationale Chengchi. Et présidente de l’association ACG Studies qui étudie la bande dessinée, l’animation et le jeu vidéo.
L’histoire de la bande dessinée taïwanaise est aussi liée à l’histoire de l’île, est-ce que vous pouvez nous donner un aperçu de l’histoire de la bande dessinée taïwanaise de ses premières publications à aujourd’hui ?
I-Yun Lee : Le premier janvier 1921, le Taiwan Daily News (台灣日日新報), dirigé par le bureau du gouverneur général de Taïwan, a ouvert une rubrique intitulée « BD de Taiwan et du Japon » (台日漫畫) éditée par Kokushima Mizuma, qui en était également le principal auteur. Outre les bandes dessinées en une planche, il existait également des lianhuanhua (連環畫), sorte de BD traditionnelle chinoise en une seule longue vignette.
Le Taiwan Police Association Magazine (臺灣警察協會雜誌), lancé le 20 juin 1917, est une autre revue importante qui a formé des dessinateurs pendant la période de colonisation japonaise (1895-1945). La plupart des dessinateurs publiaient leurs œuvres sous des noms de plume, excepté le Taïwanais Hsu Ping-tin (許丙丁) (24/9/1899 – 19/7/1977), le seul qui signait de son vrai nom et est resté célèbre pour ses bandes dessinées publiées à Taïwan pendant la période japonaise.
Le groupe Hsin Kao (新高), formé en 1938 à Hsinchu, est le plus ancien groupe de fans de BD connu ; il est composé de Wang Hua (王花), né en 1923, ainsi que de Hung Chao-ming (洪朝明), Yeh Hong-chia (葉宏甲) et Chen Chia-peng (陳家鵬), nés en 1924. La série de Yeh « JhugeShiro » (諸葛四郎), publiée dans le magazine Man Hua Ta Wang (漫畫大王, Comic King) en 1958, a été l’une des plus populaires de l »après-guerre à Taïwan, et a été adaptée en film et en série télévisée.
Dans les années 1960, la location de bandes dessinées a connu un véritable essor à Taïwan, les BD d’arts martiaux wuxia étant les plus populaires. Outre Yeh Hong-chia, déjà mentionné, des dessinateurs tels que Chen Haihong (陳海虹), Lei Qiu (淚秋), Fang Wan-nan (范萬楠), patron de la grande maison d’édition de BD Tong Li (東立), ou encore You Lung-hui (游龍輝) étaient également très populaires à l’époque.
Cependant, alors que les BD taïwanaises commençaient à se développer, le gouvernement du Kuomintang de la République de Chine a modifié en 1962 la « Politique d’édition et d’impression des bandes dessinées » (編印連環圖畫輔導辦法), établie en 1948, au nom de la «protection de la jeunesse de la nation».
Bien que les éditeurs aient vigoureusement soutenu que les lecteurs étaient des adultes, la réglementation est entrée en vigueur en mars 1966, et toutes les bandes dessinées ont dû être examinées et révisées avant de pouvoir être publiées. Comme les frais de censure étaient 40 fois supérieurs au prix de vente, sans certitude que toutes les bandes dessinées soient approuvées et avec une durée d’examen variable, la création de bandes dessinées à Taïwan a été considérablement freinée. Le nombre de livres soumis à la censure est tombé de plus de 2 000 en 1967 à environ 400 en 1974, et la création de bandes dessinées à Taïwan a été interrompue. En 1975, avec la généralisation des photocopieuses, les mangas japonais à bas prix ont envahi le marché taïwanais et l’ont totalement dominé depuis lors.
Dans les années 1980, la librairie de location Xiao Mi Comics (小咪漫畫) a ouvert la porte à de nouveaux dessinateurs, tels que Zhang Jingmei (張靜美) et Kao Yung (高永), auteurs de mangas shōjo. En même temps, le quotidien China Times (中國時報), vendu en librairie, a organisé des concours de bandes dessinées. Les dessinateurs sélectionnés ont été publiés dans le nouveau magazine de BD Joy (歡樂), avec notamment Chen Uen (鄭問), Richard Metson (麥仁杰) et Zhu Deyong (朱德庸). Joy a été publié de 1985 à 1988, puis China Times a lancé l’hebdomadaire Weekly (星期) en 1989, faisant figurer les œuvres de la dessinatrice Ren Zheng-Hua (任正華) et du dessinateur Lin Zheng De (林政德). La même année, après la levée de la loi martiale et avec l’essor des mangas japonais, le marché taïwanais était aussi en pleine effervescence. De nombreuses agences de publicité et maisons d’édition se sont mises à sortir des nouvelles revues de BD, et cette vague a fait émerger des autrices comme You Sulan (游素蘭).
Ces magazines qui étaient distribués dans les librairies ont cependant eu une vie courte, allant de six mois à deux ans. Dans les années 1990, la location de mangas a pris le dessus, avec en particulier des séries phares telles Dragon Boy (龍少年)et Star Girls (星少女), publiés chez Tong Li en 1992, et Princess (公主), publié chez Da Ran (大然). Parmi les pionniers, on compte T.K (章世炘), BIGUN, Yeh Minghsuan (葉明軒), Chang Sheng (常勝), Huang Chiali (黃佳莉) et Nicky Lee (李崇萍).
L’année 1996 marque un tournant : avec l’apparition d’Internet et des jeux vidéo, les bandes dessinées ne sont plus achetées dès leur parution et doivent miser sur la publicité pour concurrencer les autres biens de consommation ; les mangas japonais ne sont plus importées à Taïwan dès leur parution, et les éditeurs taïwanais commencent à sélectionner les plus populaires en vue de leur importation. Le marché décline lentement.
Les éditeurs taïwanais de BD qui utilisaient les bénéfices réalisés sur les mangas japonais pour soutenir les productions taïwanaises subissent la baisse des bénéfices des mangas et diminuent leur soutien aux auteurs locaux. Ainsi, l’intervention de l’État à partir de l’an 2000 pour soutenir la bande dessinée a été cruciale.
Par exemple, l’Academia Sinica a mis en œuvre en 2009 le Projet de recherche et développement pour des archives numériques et technologie d’apprentissage en ligne – Plateforme centrale pour le projet de contenu numérique (數位典藏與數位學習國家型科技計畫-數位核心平台計畫), et a publié la Creative Comic Collection (CCC) (CCC創作集), qui devait à l’origine présenter les archives numériques sous la forme de BD, et qui s’est progressivement transformée en une histoire de la littérature de Taïwan racontée en BD.
Une nouvelle génération de dessinateurs est née de cette initiative, avec notamment AKRU, Kiya (張季雅), Zuo Hsuan (左萱) et Li Lung-chieh (李隆杰). On peut également dire que la collection CCC marque le retour de Taïwan sur la scène de la BD après une longue absence.
Y’a t-il des auteurs devenus cultes ?
I-Yun Lee : À Taïwan, s’il faut nommer un dessinateur de BD devenu célèbre, ce serait Yeh Hong-chia, qui a gagné en popularité à la fin des années 1950 et dans les années 1960. Sa bande dessinée « JhugeShiro » est même apparue dans la chanson pop « Enfance » (童年), de Sylvia Chang (張艾嘉), qui chante « …mais qui a empoigné l’épée précieuse, JhugeShiro ou le Gang des Diables… » (…諸葛四郎和魔鬼黨,到底是誰搶到那把寶劍。…)
Depuis une 15e d’année, les artistes taïwanais sont très actifs, comment est perçue cette nouvelle génération ?
I-Yun Lee : La censure de la bande dessinée à Taïwan dans les années 1970 a entraîné la disparition de l’ancienne génération de dessinateurs, et une nouvelle génération est apparue après 1980, mais à cette époque, Taïwan portait encore le corset de la loi martiale (1949-1987) et il était difficile pour la BD d’échapper à l’emprise de la culture chinoise. Le développement de toute culture nécessite un terreau suffisamment libre et un réservoir symbolique suffisamment riche pour faire pousser des fleurs à la fois variées et avec des racines profondes.
Dans les années 1990, sans la concurrence d’Internet et des jeux vidéo, la bande dessinée taïwanaise aurait dû connaître un meilleur développement, mais les fruits de la liberté n’étaient pas assez mûrs et le réservoir symbolique pas assez plein. Plus de 30 ans se sont écoulés depuis la levée de la loi martiale, et la nouvelle génération de bédéistes taïwanais peut maintenant puiser dans une base suffisamment riche et diversifiée pour nourrir ses créations.
Dans les années 2000, le ministère de la Culture a commencé à investir activement dans l’accompagnement des bédéistes. Par exemple, la collection CCC a été ensuite subventionnée par le ministère, de même que divers prix ; en 2019, la collection CCC a été transférée à la jeune Agence des contenus créatifs de Taiwan (TAICCA), qui continue à aider les artistes de bande dessinée, qui peuvent même demander en leur nom propre un financement de projet au ministère de la Culture pour faire leurs débuts. Le ministère sélectionne et publie en anglais des présentations de livres taïwanais chaque année pour les faire connaître aux autres pays.
Parallèlement, il travaille en étroite collaboration avec le Japon pour y promouvoir la publication de bandes dessinées taïwanaises et pour qu’elles soient publiées en série dans les magazines japonais. Le soutien apporté par TAICCA ces dernières années a également contribué à encourager les auteurs et autrices de BD à développer leur activité à l’étranger.
La bande dessinée taïwanaise en quelques notions clefs
Comment se porte le marché de la bande dessinée chez vous ?
I-Yun Lee : L’ensemble du secteur de l’édition est en crise, le développement d’internet a incité de nombreux lecteurs de mangas à se tourner vers des copies piratées, et les limites de l’espace d’habitation ainsi que la variété offerte amènent les acheteurs à choisir avec soin les mangas qu’ils acquièrent. Dans leur temps libre ou dans les transports, les gens ont d’autres activités que de lire des mangas : ils lisent aussi des webtoons, vont sur YouTube ou jouent sur leur portable.
Cependant, l’enthousiasme des fans de mangas pour acheter leurs séries préférées reste impressionnant. Ainsi, à l’ère de la consommation en ligne, le plus important est probablement de savoir faire en sorte que le contenu se distingue dans une mer de livres et de créer un sentiment d’identité entre les personnages et les fans.
En France la bande dessinée a une représentation paradoxale, à la fois véritable art mais aussi pour certain.e.s, une littérature pour la jeunesse ; est-ce que c’est identique à Taïwan ?
I-Yun Lee : Jusqu’aux années 2010, il y avait deux moyens de diffuser les bandes dessinées à Taïwan : dans les librairies généralistes, pour des œuvres au contenu plus culturel, par exemple avec le China Times, CCC et Gaea Books (蓋亞), ou bien dans des librairies de location, considérées comme un lieu populaire où circulaient les mangas japonais et que les lecteurs taïwanais étaient habitués à fréquenter.
Bien que la location de mangas ait diminué après 2010 avec la migration en ligne de la lecture, cette conception des deux grandes catégories de BD persiste dans l’esprit des gens.
Elle s’explique aussi par la différence de capital culturel selon l’âge des lecteurs et par la sensibilité qu’ont certaines personnes pour la culture japonaise. Toutefois, cette différence s’estompe progressivement.
On découvre de plus en plus en France, la bande dessinée taïwanaise (T-manga ou graphic novel), quelle est sa spécificité et ses forces selon vous ?
I-Yun Lee : Il faut dire que l’industrie japonaise du manga a un groupe moteur si important que Taïwan, avec des publications plus lentes et moins compétitives, ne tient pas la comparaison.
D’un autre côté, Taïwan est relativement plus libéral que le Japon en termes de diversité de genre, d’orientation sexuelle, de différences générationnelles, de classes sociales et de fréquentations.
De plus, Taïwan a connu des grands changements au fil de son histoire, et cela contribue à ce que Taïwan produise des bandes dessinées de niche ou qui traitent de sujets sensibles. Telle devrait être la caractéristique et la force de la bande dessinée taïwanaise.
Comment vous voyez les prochaines années ?
I-Yun Lee : À l’avenir, il faudra observer si les webtoons adoptent une nouvelle présentation. La structure des webtoons et des bandes dessinées en pages est différente, mais les webtoons ne sont pas toujours qu’une longue case verticale.
Par exemple, le webtoon coréen ENNEAD (九柱神) utilise des séparations dans la colonne, ce qui donne à l’écran un aspect très structuré. Le lectorat des bandes dessinées et des webtoons est aussi différent : ceux qui lisent des bandes dessinées ne sont pas nécessairement des amateurs de webtoons, et vice versa. Il faudra donc voir si les webtoons présentent une structure autre que celle des longues colonnes, ou s’ils incorporent des changements sous l’influence des bandes dessinées, ou encore si les bandes dessinées présentent des nouveautés structurelles pour s’adapter à l’ère des smartphones.
À propos de TAICCA
Dans cet article, il y a de nombreuses références à cette agence, que ce soit à travers les rapports chiffrés ou dans l’interview de I-Yun Lee pour parler des initiatives récentes. Cette agence est centrale dans l’industrie du livre (et culturelle en général) à Taïwan depuis sa création en 2019, et centralise les ressources pour en faire la promotion.
Pour mieux comprendre, je vous propose de lire cette interview de Jiun Wei LU, le CEO of TAICCA réalisée le mois dernier par Aurélien du Gohanblog qui s’est intéressé aux titres taïwanais présents sur la plateforme Mangas.io
Découvrir la bande dessinée taïwanaise : ép.2 : la BD à Taïwan vu par les artistes
En deuxième partie de ce dossier, je vous propose des regards croisés d’autrices & d’auteurs taiwanais.e.s avec pour certains des livres traduits en français, d’autres qui préparent leur première publication à Taiwan ou encore certain.e.s plus habitué.e.s aux fanzines.
Vous retrouvez les points de vue de Zhou Jian-Xin, Li-chin Lin, Sean Chuang, Iron, Nownow, Tpcat, Public Child, Yuchi Lee. On évoquera ensemble leurs projets, leur quotidien d’artiste à Taïwan ou la perception du 9e art dans leur pays. Grâce à eux, j’ai pu découvrir pas mal d’aspects de la bande dessinée à Taïwan et de nouvelles pistes, j’espère que ces entretiens vous donneront envie de découvrir leurs œuvres.
Zhou Jian-Xin, dessinateur de la série Le fils de Taïwan
Jeune auteur, Zhou Jian-Xin réalise sa première série avec Le fils de Taïwan, en cours de publication chez Kana en 4 volumes. Une série écrite par Yu Pei-Yun qui raconte l’histoire de Taïwan à travers le destin d’un éditeur (en savoir plus dans l’article coup de cœur)
Pouvez-vous nous parler de votre quotidien d’artiste à Taiwan ?
Zhou Jian-Xin : En ce moment, mon quotidien se divise en deux parties : la création et l’enseignement. La création artistique me prend le plus de temps et ce travail de création inclut les bandes dessinées et les livres illustrés.
Et j’enseigne à temps partiel à l’institut, un ou deux jours par semaine, pour donner principalement des cours liés à la création d’images.
Comment la bande dessinée est-elle perçue à Taiwan en général ?
Zhou Jian-Xin : Au début, les bandes dessinées étaient considérées comme nocives pour les enfants et leur contenu publié était fortement censuré.
Après 2010, le gouvernement a commencé à attacher de l’importance à la fonction et à la valeur des bandes dessinées, en aidant les dessinateurs à participer à des festivals internationaux, en créant des prix nationaux, en créant des sites web de publication en ligne, en travaillant la propriété intellectuelle et en développant des œuvres cinématographiques et télévisuelles et d’autres. Tout cela a placé la bande dessinée une dynamique créative et énergique.
En outre, des maisons d’édition ont lancé des bandes dessinées de différents types et styles dans le monde entier (y compris BD/mangas/comics), et de nombreux romans graphiques aux thèmes sérieux ont également brisé le stéréotype selon lequel les bandes dessinées sont des livres pour enfants.
La bande dessinée taïwanaise est toujours dominée par les bandes dessinées de divertissement. Cependant, en raison de l’influence des dessinateurs qui peuvent participer à des festivals dans d’autres pays, des éditeurs qui introduisent des œuvres étrangères, et pas que du Japon, et du développement de l’information en ligne : les styles des dessinateurs ont changé. Il y a une représentation plus diversifiée.
Comment avez-vous vécu la sortie de votre première série ? Était-ce ce que vous imaginez ?
Zhou Jian-Xin : Cette série est la première bande dessinée que j’ai créée. Et les retours sur ce travail ont dépassé de loin mon imagination.
En plus des différentes récompenses que mes œuvres ont reçues à Taiwan, des articles de recommandation écrits par les cercles universitaires et des entretiens avec de nombreux médias, la publication à l’étranger m’a également permis de visiter et d’en parler dans différents pays.
Ces retours me font me sentir chanceux de faire partie de ce milieu.
Et le fait qu’il soit traduit en France, est-ce que cela a changé quelque chose dans votre approche de la bande dessinée ?
Zhou Jian-Xin : La version française a été ma première envie pour la bande dessinée européenne. Après tout, la bande dessinée française a une longue histoire.
L’équipe éditoriale a initialement créé cette série de bandes dessinées dans l’espoir de pénétrer le marché de la bande dessinée dans différents pays.
Et pour moi, permettre aux lecteurs de découvrir l’ouvrage en français signifie que cette série de bandes dessinées a été reconnue par le marché européen de la bande dessinée [rires].
On découvrira bientôt le dernier tome ici, vous travaillez sur d’autres projets ?
Zhou Jian-Xin : Je suis ravi que le dernier épisode soit bientôt publié. J’espère que les lecteurs pourront voir l’évolution de ce petit personnage et comprendre le développement de la démocratie taïwanaise.
En plus des bandes dessinées, je crée également des livres illustrés et l’année prochaine, je publierai certainement un album illustré et une bande dessinée, qui sont en cours de création.
Li-chin Lin, autrice de plusieurs livres autobiographiques : Formose, Fudafudak et Goán tau, chez moi
Après la publication de deux livres jeunesse à Taïwan, Li-chin Lin commence sa carrière d’autrice de bande dessinée en France avec Formose. Chacun de ses ouvrages mêle ses réflexions dessinées en croisant préoccupations intimes aux sujets universels (en savoir plus dans l’article coup de cœur).
En France la bande dessinée a une représentation paradoxale, à la fois art, mais aussi pour certains, une littérature pour la jeunesse ; est-ce que c’est identique à Taïwan ?
Li-chin Lin : La situation à Taïwan est un peu compliquée. La bande dessinée que les Taiwanais connaissent depuis l’époque japonaise (1895-1945) était en effet le manga. Quand j’étais plus jeune, il y avait déjà du manga pour les adultes (manga seinen) qui circulaient, mais le manga/la BD était souvent considéré comme une sorte de lecture pour les enfants et les ados. Quand j’étais enfant, je devais lire les mangas en cachette. Les enseignants pouvaient confisquer le manga à l’école, et mon père a même déchiré un manga qu’il a découvert chez nous (dans les années 1980).
Le manga était considéré comme une sorte de lecture de jeunesse mal vue par les autorités et les parents taiwanais, mais les enfants et les adolescents les ont adorés. Il y avait des « bibliothèques de prêt » partout.
Dans les années 1990 (si je me souviens bien), certains éditeurs taiwanais ont tenté d’introduire des œuvres franco-belges à Taiwan. Ils ont essayé de leur fabriquer une image « artistique ». Certains auteurs taiwanais ont tenté de créer leur propre style en s’inspirant des œuvres des auteurs européens, américains ou japonais pour se distinguer du manga à ce moment-là.
Il y a quelques années, certains éditeurs taiwanais ont « découvert » le genre « roman graphique » (qui en fait existe depuis longtemps en dehors de Taiwan). Ils ont pris ce terme et ce concept pour développer la BD qui n’est pas destinée aux jeunes lecteurs.
Y’a t-il des auteurs devenus cultes ? (on connaît surtout Chen Uen grâce à un travail d’édition récent)
Li-chin Lin : Je recommande fortement le travail de Hung-Yao Chen (1964-2015), ami de Chen Uen. Il a fait des études dans la même école des arts appliqués que Chen Uen, et ils étaient amis. Hung-Yao Chen était fasciné par le cinéma d’animation de Disney quand il était petit. Il a réalisé une bande dessinée pour son diplôme de fin d’études, mais son école ne l’a pas apprécié. Il est très fort en découpage, il maîtrise vraiment bien l’art de narration graphique. Personnellement je trouve qu’il est plus fort dans cet aspect que Chen Uen. On peut le voir dans sa BD La Légende du sabreur Yi-Dao qui mêle le kung-fu avec le fantastique.
Comme Milo Manara et Akira Toriyama, Hung-Yao Chen a aussi adapté un récit chinois classique, « le Voyage à l’ouest » en BD avec un ton humoristique. Il pouvait aborder des genres variés.
Hung-Yao Chen aurait pu développer de nombreuses séries de BD avec sa qualité de conteur. Ses histoires ont été publiées d’abord dans des revues taïwanaises qui ont malheureusement cessé la publication. Du coup, Hung-Yao Chen n’a pas pu terminer la série. Son éditeur de l’époque n’a pas voulu investir plus de moyens pour terminer ces séries. Du coup, il avait souvent des séries inachevées.
Je l’ai mis en relation avec un éditeur majeur français pour réaliser une BD sur Mao. Chen est décédé soudainement en 2015 avant de démarrer ce projet. C’est vraiment dommage.
Depuis une 15e d’année, les artistes taïwanais sont très actifs, comment est perçue cette nouvelle génération ?
Li-chin Lin : J’aimerais partager une anecdote intéressante d’une amie universitaire taïwanaise. Connaisseuse du manga taiwanais et japonais, elle fait souvent un test à la rentrée de la fac. Elle demande à ses étudiants d’écrire le titre du manga (japonais ou taiwanais) qu’ils ont lus sur le tableau : la plupart des titres sont japonais. Le manga taiwanais reste minoritaire.
Tu vis et travailles en France, mais tes livres sont intimement liés à Taïwan, tu peux nous parler de ton quotidien d’artiste taïwanaise vivant en France ?
Li-chin Lin : Je suppose que je vis comme les autres auteurs BD en France : je cherche des idées et des aides, puis j’essaie de les réaliser en BD.
À part cela, je lis des journaux taiwanais en ligne pour rester au courant de l’actualité de mon pays d’origine.
Quand je sors, j’essaie de réagir d’une manière aimable et ferme si on m’appelle « chinoise » dans la rue. Si j’ai un peu de temps et que mon interlocuteur est sympa, je lui offre une mini-formation gratuite sur Taiwan en quelques minutes.
Tes livres paraissent en français, mais certains sont traduits en mandarin à Taïwan, est-ce que c’est une forme d’aboutissement ? Est-ce que cela à modifié ta manière de travailler pour la suite avec ce double lectorat ?
Li-chin Lin : Parmi mes trois romans graphiques, Formose et Fudafudak ont été traduits en chinois à Taïwan. Quand Formose est sorti en France en 2011, je n’ai pas pensé qu’il puisse être traduit à Taïwan. Le manga reste dominant dans mon pays d’origine, et personne n’avait la notion de « roman graphique » a cette époque.
C’est quand j’ai reçu le Prix littéraire des lycéens avec Formose qu’une éditrice taiwanaise a remarqué mon livre. Et c’était un des best-sellers à Taïwan. Certains lecteurs taiwanais m’ont dit qu’ils ne lisaient jamais de BD, mais ils étaient ravis de découvrir Formose. Je pense que les Taiwanais avaient envie de trouver des BD sur l’histoire contemporaine de Taïwan à ce moment-là.
Même si mes livres ne parlent que de Taiwan (pour l’instant), je n’ai pas vraiment pensé au lectorat taiwanais. Mon troisième livre aborde des sujets sensibles sur ma relation avec ma famille, je ne sais pas s’il sera traduit à Taïwan.
Je cherche simplement à communiquer mes réflexions avec des images et des mots. Si mes livres aident les autres à mieux comprendre Taiwan, j’en suis ravie. Mais je ne cherche pas vraiment que mes livres soient traduits à Taïwan.
Tu es très active dans la diffusion de la culture taïwanaise, dans les rencontres entre les deux pays, comment tu vois la BD taïwanaise pour les prochaines années ?
Li-chin Lin : J’ai montré Taiwan Comix, revue taïwanaise de BD que j’ai créée avec des amis au Festival International de la BD d’Angoulême (FIBD) en 2011, et le FIBD a décidé d’inviter Taiwan comme pays à l’honneur en 2012. (En fait, le parti Kuomintung, au pouvoir à l’époque, a failli refuser cette belle invitation en acceptant celle du Festival BD de Chambéry. La plupart des politiciens taiwanais de l’époque ne faisaient pas la différence entre le FIBD et le Festival BD de Chambéry.)
Puis le Ministère de la Culture de Taiwan a envoyé une délégation des auteurs taiwanais au FIBD et le gouvernement a maintenu cette mesure pendant une dizaine d’années. Or, ce projet de participation au FIBD, fut repris à partir de 2012 par un éditeur taiwanais, et il n’a pas vraiment intégré le style manga taiwanais à la délégation. Certes, on pouvait voir des mangas taiwanais dans les catalogues du Pavillon Taiwan, mais j’avais l’impression qu’ils n’y ont pas été mis en valeur. Le manga taiwanais à en général une très bonne narration et il est populaire.
La participation des auteurs taiwanais au FIBD est actuellement gérée par TAICCA. Je suis ravie qu’ils aient mis plus en valeur le manga taiwanais. Le manga taiwanais aborde des sujets variés et doit aussi avoir une place dans la promotion de la BD taïwanaise par les autorités culturelles de Taiwan.
Sean Chuang est l’auteur de nombreux albums à Taiwan mais aussi réalisateur, en France on peut lire Mes Années 80
Dessinateur de bandes dessinées, mais également animateur et réalisateur, Sean Chuang a une bibliographie bien fournie, avec de nombreuses récompenses. En France, les éditions Akata ont publié Mes Années 80, son autobiographie (en savoir plus dans l’article coup de cœur).
Pouvez-vous nous parler de votre quotidien d’artiste à Taiwan ?
Sean Chuang : Le quotidien des artistes à Taiwan est assez différent selon les personnes. Ma routine est assez simple. En dehors des tournages occasionnels (car je suis toujours directeur de publicité), je reste principalement à l’intérieur. Je commence ma journée par la prière, puis je prépare un petit-déjeuner sain qui comprend généralement un hamburger au poulet, une salade et du pain français. Pendant que je prends mon petit-déjeuner, je regarde un épisode d’une série soigneusement sélectionnée, puis je me mets au travail à mon bureau. Vers midi, je fais une balade pour déjeuner à proximité, puis reviens continuer à dessiner jusqu’à environ 19 heures. Ensuite, je prépare le dîner, je passe la soirée à regarder la télévision ou à faire de l’exercice, je lis avant de me coucher, et cela résume ma journée.
Parfois, je passe une journée entière sans trop de conversation, profondément plongé dans mes pensées créatives. Cependant, je participe à des activités sociales comme des conférences, des événements, des jurys ou des rencontres avec des amis pour prendre un café. Cette routine est assez différente de mes journées bien remplies de ma jeunesse ; maintenant, j’apprécie un rythme plus détendu.
Comment la bande dessinée est-elle perçue à Taiwan en général ?
Sean Chuang : À Taiwan, la reconnaissance de la bande dessinée repose en grande partie sur ses ventes. Et comme les mangas japonais dominent le marché, cela représente un défi pour les bandes dessinées taïwanaises.
Du coup, nous utilisons les médias sociaux, organisons des séminaires ; et, avec le récent soutien politique du gouvernement, le marketing à l’international ou l’adaptation au cinéma/télévision sont devenus une stratégie visant à s’étendre au-delà des bandes dessinées imprimées.
Vous avez une bibliographie conséquente, dont certains titres traduits en français. Le fait d’avoir une audience internationale a-t-il changé votre façon d’écrire ?
Sean Chuang : Concernant mes publications en France, Mes années 80 est actuellement disponible, tandis que le reste est encore en chantier. J’espère que davantage de mes œuvres seront publiées en France dans un avenir proche.
Mon approche de la création de bandes dessinées prend souvent en compte les points communs entre les lecteurs internationaux, à la recherche d’émotions universelles. Techniquement, mes livres sont écrits de gauche à droite et utilisent une disposition de texte horizontale, différente du chinois, principalement pour faciliter la traduction.
Vous travaillez sur d’autres projets ?
Sean Chuang : Concernant les prochains projets, j’expérimente, comme à mon habitude. La plupart de mes œuvres passées tournent autour de ma vie et penchent vers le roman graphique.
Plus tard, j’ai l’intention d’explorer la création d’un récit plus long avec des histoires fluides et originales, avec des personnages captivants plus proches des bandes dessinées traditionnelles.
Iron est l’auteur de nombreuses séries à Taiwan, qui ne sont pas encore traduites en France et travaille aujourd’hui sur des albums complets
Iron est un dessinateur, animateur qui a réalisé de nombreuses séries dont Rose Armor ou Prince qui ne sont pas disponibles en France, mais que vous pouvez découvrir en ligne et il travaille actuellement sur un ambitieux projet de SF Lunar Bite.
Pouvez-vous nous parler de votre quotidien d’artiste à Taiwan ?
Iron : J’ai moins d’heures de travail qu’avant, lorsque je réalisais des séries. L’essentiel est que maintenant j’accumule d’abord les planches, puis une fois le manuscrit près, je les publie. Pour garantir la qualité, il ne faut pas se précipiter pour sérialiser.
Comment la bande dessinée est-elle perçue à Taiwan en général ?
Iron : Je pense qu’il serait peut-être plus juste d’interroger les étrangers à ce sujet. J’aimerais d’ailleurs poser cette question aux Coréens ou aux Chinois si j’en ai l’opportunité.
Les auteurs étrangers se vendent bien à Taïwan, plus que les œuvres taïwanaises ?
Iron : Oui, je pense que les bandes dessinées japonaises se vendent mieux ici.
Vous qui avez plusieurs séries et une carrière dans plusieurs domaines comme l’animation, comment voyez-vous la bande dessinée taïwanaise dans le futur ?
Iron : Je viens d’être invité par le National Comic Museum pour une réunion aujourd’hui justement. Je pense que ce sujet est la direction sur laquelle nous devrions travailler maintenant et à l’avenir.
Nownow est une jeune autrice, dont la première série est à paraître en France en 2024
Chose rare, cette jeune autrice a vu sa première série immédiatement achetée par un éditeur français (ainsi que d’autres versions étrangères) que vous pourrez découvrir prochainement. Un premier travail impressionnant qui laisse présager une belle carrière à cette dessinatrice qui enseigne également le dessin.
Pouvez-vous nous parler de votre quotidien d’artiste à Taiwan ?
Nownow : Mon emploi du temps est généralement flexible et je décide comment organiser mon temps en fonction de la charge de travail du moment.
Habituellement, j’essaie de négocier des périodes de production plus longues avec les clients, en me laissant la possibilité d’allouer du temps pour poursuivre mes études, me divertir ou gérer des circonstances imprévues.
La bande dessinée fait partie de mes activités créatives, mais pas dans sa totalité. La plupart du temps, mon travail consiste à créer des illustrations publicitaires et à enseigner le dessin. Je dessine des œuvres de bande dessinée personnelles pendant mon temps libre.
Comment la bande dessinée est-elle perçue à Taiwan en général ?
Nownow : À Taiwan, la culture de la bande dessinée elle-même se divise en deux fronts principaux : les bandes dessinées nationales et les bandes dessinées importées.
Les bandes dessinées importées, notamment celles du Japon et de la Corée du Sud, occupent une place importante dans le cœur de beaucoup de lecteurs. Avec l’essor des bandes dessinées sur mobiles, elles sont devenues une forme de divertissement répandue et rapidement consommée, profondément ancrée dans la vie quotidienne des gens.
D’un autre côté, les bandes dessinées nationales se concentrent traditionnellement sur l’exploration de l’histoire unique de Taiwan, des légendes populaires ou des problèmes sociétaux, offrant une expérience culturelle distinctive à travers divers thèmes et styles artistiques.
Aujourd’hui, les créateurs ont diversifié leurs approches et leurs thèmes, introduisant de nombreuses œuvres divertissantes et légères.
Dans l’ensemble, la culture de la bande dessinée à Taiwan présente un paysage diversifié et complexe, mettant en vedette l’influence dominante des bandes dessinées importées ainsi que la tendance émergente des bandes dessinées nationales. La frontière entre populaire et niche s’estompe progressivement.
Comment avez-vous vécu la sortie de votre première série ? Était-ce ce que vous imaginez ?
Nownow : en général, le processus de création de Shou Niang [Note : ce titre n’est pas le titre officiel en France, c’est la traduction du titre en mandarin 守娘] s’aligne sur les plans initiaux, mais va plus loin de manière inattendue.
Shou Niang est un projet collaboratif avec CCC. Initialement, les rédacteurs de cette unité étaient affiliés à l’Academia Sinica, une unité dotée d’une riche base de données.
Ils ont fourni des exigences, des prototypes et des données d’archives, qui ont ensuite été collectivement réfléchis et révisés par l’artiste et les éditeurs.
Pour être honnête, avant de commencer cette bande dessinée, je ne connaissais pas la légende de Tân Siú-niû.
Compte tenu de la dure réalité du marché du livre en déclin, des coûts d’opportunité stricts et d’autres facteurs, j’ai abordé ce projet avec un état d’esprit plutôt commercial. En appliquant les expériences accumulées dans mon travail passé en illustration publicitaire, j’ai particulièrement mis l’accent sur la conception du style artistique global et la sélection du public cible lors de la phase de planification initiale.
Et le fait qu’il soit traduit en France, est-ce que ça a changé quelque chose dans votre approche de la bande dessinée ?
Nownow : C’est une opportunité stimulante. Cela permet à l’œuvre de transcender différentes langues et sphères culturelles grâce à la traduction. Pour les lecteurs, une bande dessinée décrivant une culture et une intrigue inconnues peut évoquer à la fois un sentiment de nouveauté et de confusion.
Trouver comment guider les individus à travers la barrière des différences culturelles et atteindre un domaine où les points communs émotionnels peuvent être vécus est en effet un défi. J’ai hâte d’observer comment les lecteurs français comprennent cette bande dessinée.
On découvrira bientôt le premier tome ici, vous travaillez sur d’autres projets ?
Nownow : La réponse est non. Il n’y a actuellement aucun plan précis. Les éléments de la culture orientale sont ancrés dans la terre et l’air où j’ai grandi, se manifestant naturellement dans mes créations.
Cependant, j’ai toujours nourri une admiration pour la culture européenne, que je ne comprends pas entièrement. J’attends avec impatience l’avenir, espérant avoir des opportunités de collaborer avec des professionnels français, créant un parcours artistique qui transcende les frontières, à l’image de Shou Niang.
Tpcat est une jeune autrice, dont la première série vient de paraître et est annoncée au Japon
Avec une première série qui se penche sur les sources d’eau chaude - dont beaucoup d’amateurs savent que Taïwan est réputée pour celles-ci - Tpcat a vu sa série achetée au Japon alors qu’elle est toujours en cours de publication. Avec ses personnages d’animaux anthropomorphes, elle propose un véritable guide touristique plein d’anecdotes et d’humour.
Pouvez-vous nous parler de votre quotidien d’artiste à Taiwan ?
Tpcat : Je me lève généralement vers 8 heures du matin, je prends mon petit-déjeuner et je me dirige vers l’espace créatif de la Taiwan Comic Base [voir notre article N° 3] pour travailler vers 10 heures. Je respecte le planning, même si je prends souvent du retard. Je déjeune avec un panier-repas de chez moi. Je rentre chez moi vers 21 heures, vérifie mes cryptomonnaies et fais quelques recherches. Pendant mes loisirs, j’aime regarder du football et divers dramas, j’aime aussi discuter avec des amis (principalement en ligne).
Mes œuvres portent sur les sources chaudes de Taiwan. Par conséquent, j’ai parfois besoin de visiter ces sources chaudes pour me renseigner sur elles. Pour les endroits plus éloignés, cela peut prendre deux ou trois jours. Lors de ces voyages, je prends des notes ou réalise des illustrations. À mon retour, j’organise et réécris à nouveau ces notes. Plus tard, j’écris le scénario de la bande dessinée en fonction de mon emploi du temps. Ensuite, je passe par le processus de story-board, d’encrage et de coloration pour produire la bande dessinée finale.
Comment la bande dessinée est-elle perçue à Taiwan en général ?
Tpcat : À Taiwan, la bande dessinée est peut-être avant tout considérée comme une activité de loisir décontractée. Cependant, tout comme les drames, il existe des bandes dessinées légères et des bandes dessinées qui abordent des sujets sérieux et stimulants.
La scène de la bande dessinée à Taiwan est en plein développement. Les lecteurs sont peut-être plus habitués aux bandes dessinées japonaises ou coréennes, mais la jeune génération de créateurs de bandes dessinées à Taiwan présente des styles divers et intéressants. J’espère qu’à l’avenir, davantage de publics seront attirés par la lecture des bandes dessinées taïwanaises.
Est-ce que ce sont principalement des artistes taïwanais qui sont dans les top des ventes des libraires ou des œuvres étrangères ? Des mangas ?
Tpcat : Les bandes dessinées recommandées dans les librairies générales sont probablement encore dominées par les mangas japonais populaires. Récemment, la tendance a été influencée par la popularité de l’animé, stimulant les ventes du manga original.
Cependant, les librairies proposent également une section taïwanaise. Et certaines maisons d’édition investissent massivement dans la publication de bandes dessinées taïwanaises, Gaeabooks par exemple.
Comment avez-vous vécu la sortie de votre première série ? Était-ce ce que vous imaginez ?
Tpcat : L’expérience de publier mon premier livre a été fantastique. Cela m’a permis de communiquer avec des lecteurs au-delà de mon cercle habituel. J’ai participé à deux émissions de radio et participé à des discussions avec le conservateur du musée des sources chaudes de Beitou et le propriétaire des sources chaudes de Longnice, des bains thermaux à l’ancienne.
En 2023, mon personnage de lapin a également participé au Beitou Cool Down Festival, en tant que mascotte. Ce sont des expériences que je n’avais jamais vécues auparavant en vendant uniquement des bandes dessinées indépendantes lors d’événements de doujinshi comiques. Un dessinateur de bandes dessinées chevronné a dit un jour : « Votre travail vous mènera vers des endroits plus lointains », et je trouve que c’est tout à fait vrai.
Et le fait qu’il soit traduit en japonais, cela a-t-il changé quelque chose dans votre approche de la bande dessinée ?
Tpcat : Je suis ravi que ma bande dessinée soit bientôt traduite en japonais. Peut-être qu’à l’avenir, lors de la création, je penserai à ajouter des éléments qui facilitent la compréhension pour les étrangers.
Public Child est une jeune autrice qui dessine principalement en ligne et publie chaque année des fanzines
Cette autrice touche-à-tout qui s’est fait une spécialité du fanzine a vécu en France, où elle a pu réaliser quelques publications liées à son séjour et à ses observations. Vous pouvez suivre ses strips pleins d’humour noir et expérimentations graphiques sur son compte instagram.
Pouvez-vous nous parler de votre quotidien d’artiste à Taiwan ?
Public Child : En ce moment, je dois aller au bureau tous les jours, 40 heures par semaine pour mon boulot. Habituellement je réfléchis à des histoires et au story-board dans les transports, donc maintenant je fais plutôt des petits strips quand j’ai un créneau. Pour l’année prochaine, j’aimerais bien m’organiser pour un projet plus complet.
Comment la bande dessinée est-elle perçue à Taiwan en général ?
Public Child : À mon avis, à Taïwan je pense que la plupart des gens lisent des mangas plutôt que de la BD. Mais cette année, il y a de plus en plus de BD qui sont publiées à Taïwan !
Est-ce que ce sont principalement des artistes taïwanais qui sont dans les top des ventes des libraires ou des œuvres étrangères ? Des mangas ?
Public Child : Je crois qu’il y a une catégorie « auteur taïwanais » dans les librairies. Pour la BD on dit « manga européen » ou « roman graphique ».
Vous qui avez vécu en France quelles sont les grandes différences ?
Public Child : Je dirais que c’est la diversité et l’unicité. Quand nous étions petits, on nous a appris à être tous les mêmes : nous n’avons pas de pensée indépendante ni d’esprit critique. De plus, nous vivons dans une île.
Mais quand nous grandissons, nous avons hâte d’être les plus uniques, c’est assez dur pour trouver le juste équilibre. Je pense surtout que les cours de philosophie sont importants pour les enfants.
Yuchi Lee est un jeune auteur qui prépare son premier album chez un éditeur taiwanais
En pleine préparation de son premier livre, Yuchi Lee a publié des fanzines et des histoires courtes qui tournent autour de son sujet de prédilection, la reconstitution presque ethnographique d’une civilisation où la nature aurait repris ses droits sur l’île. Une post-apo sans les codes de la SF, avec une approche poétique qui se concentre sur les traces, les inventions et les habitudes de ces humains nouveaux. Vous pouvez en découvrir un extrait sur son site.
Pouvez-vous nous parler de votre quotidien d’artiste à Taiwan ?
Yuchi Lee : Je ne suis pas un artiste à temps plein, donc je n’ose pas me considérer comme tel. Bien que la création artistique soit essentielle pour moi, il est difficile d’assurer un revenu stable, donc je travaille à temps partiel pour subvenir à mes besoins tout en réservant du temps pour la création. En réalité, je ne peux pas consacrer toute mon énergie à la création, mes autres intérêts occupent la majeure partie de mon temps, ce qui diminue mon désir de m’exprimer à travers la création. Actuellement, je réajuste le rôle de la création dans ma vie, pensant que la création détachée du revenu apporte plus de bonheur et de qualité. Le titre d’artiste est pour moi une plaisanterie.
Comment la bande dessinée est-elle perçue à Taiwan en général ?
Yuchi Lee : Dans le passé, la mentalité traditionnelle à Taiwan considérait la bande dessinée comme une mauvaise lecture destinée aux enfants, non seulement nuisible à leurs études, mais également à leur comportement. Les parents et les enseignants réprimaient fortement la bande dessinée, obligeant les enfants qui voulaient en lire à le faire en cachette. Cette mentalité a créé un environnement de création de bandes dessinées très strict à Taiwan, au point même de créer des générations disjointes.
Cependant, de nombreux enfants qui ont survécu à cette époque se souviennent de la bande dessinée comme d’une partie commune de leur croissance, que ce soit des bandes dessinées japonaises, taïwanaises ou hongkongaises. Ces dernières années, les changements politiques à Taiwan ont éveillé la conscience nationale, le gouvernement soutient vigoureusement l’industrie culturelle locale, incitant de nombreux talents à se lancer dans la création. Cela a conduit à une explosion quantitative et qualitative de la bande dessinée à Taiwan, élevant la bande dessinée au même statut que l’art. Peut-être que je suis aussi monté à bord de ce navire de création de bandes dessinées avec cette vague.
Est-ce que ce sont principalement des artistes taïwanais qui sont dans les tops des ventes des libraires ou des œuvres étrangères ? Des mangas ?
Yuchi Lee : Dans le passé, le marché de la bande dessinée à Taiwan était largement dominé par les bandes dessinées japonaises, mais maintenant je pense que les œuvres populaires de divers pays sont facilement disponibles dans les librairies. Les bandes dessinées taïwanaises, les bandes dessinées japonaises et les romans graphiques étrangers ont chacun leurs propres catégories, et les best-sellers ne connaissent pas de frontières. Différentes librairies ont également des caractéristiques différentes, avec des librairies indépendantes spécialisées dans les livres moins connus. Cependant, la visibilité des œuvres moins connues dépend fortement de la sélection des librairies, et la gestion des librairies physiques devient de plus en plus difficile. Si vous souhaitez voir une diversité d’œuvres de différents pays, il est nécessaire de soutenir les librairies indépendantes, car elles sont les yeux qui nous permettent de voir un monde plus inconnu.
Comment imaginez-vous la sortie de votre premier livre ? Avez-vous des attentes particulières une fois que ceci sera publié ?
Yuchi Lee : J’attends avec impatience de pouvoir échanger avec tout le monde à travers mes œuvres, que ce soit dans le domaine de la création, de l’édition, ou du thème que je dessine — les habitants de la région montagneuse. J’espère aussi que ceux qui lisent cette œuvre en apprendront davantage sur la culture ethnique de Taiwan et la relation avec cette terre.
Initialement, j’ai découvert Angoulême grâce à la bande dessinée, et maintenant j’espère que cette œuvre me conduira à d’autres endroits. Mais c’est ma première tentative de dessiner une bande dessinée longue, et le doute de soi et la durée du processus sont une pression constante. Il n’y a plus l’impulsion initiale de vouloir exprimer quelque chose, maintenant je cherche simplement à terminer pour me libérer de ce fardeau.
La semaine prochaine, suite du dossier avec les épisodes 3 & 4
Thomas Mourier, le 8/01 /2024
Découvrir la bande dessinée taïwanaise
-> Les liens renvoient sur le site Bubble où vous pouvez vous procurer les ouvrages évoqués ici.