Les entrelacs magiques de Karine Rougier
Flottant sur la surface blanche du papier, les dessins de Karine Rougier abritent une population curieuse, inquiétante, sexuelle et parfois macabre. Évanescents, perdus dans l'immensité d'une feuille A4 ou d'un plan 120 x 115 cm (notamment), les personnages poursuivent discrètement leurs activités anxiogènes et libérées.
Née en 1982, Karine Rougier vit et travaille à Marseille. Elle a commencé ses études aux Arts Décoratifs de Genève, puis a étudié à l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence. L’artiste a représenté Malte à la Biennale de Venise en 2017 et enseigne aux Beaux-Arts de Marseille depuis 2018. Elle puise son inspiration dans ses voyages, ses balades sous-marines en Méditerranée et son envie de croire en la magie et le miraculeux. Elle a grandi en Côte d’Ivoire et a très tôt été émerveillée par les rituels de magie, l’envoûtement des corps et les animaux sauvages. Ses dessins reconstituent une nature où formes humaines et animales se mêlent, où corps et puissances invisibles divines se rejoignent pour créer une unique étreinte ensorcelante. Ainsi retrouve-t-on dans son travail des oiseaux, des figures mi-humaines, mi-animales, figures métamorphosées, mi-divine, mi-profanes. Entre rêves et cauchemars, les personnages se poursuivent, s’enlacent, s’envolent, se piétinent…
Son œuvre foisonnante repose sur une technique multiple : en utilisant des lavis à l’aquarelle, Karine Rougier construit des formes qui, comme la mer qui se retire, ne sèment derrière elles que quelques détails sur le papier, quelques traits auquel notre regard s’attache. Mais la dessinatrice expérimente d’autres techniques : si de nombreuses aquarelles sont exposées au Salon, elle utilise autant le collage, la peinture, la gouache que l’encre comme dans ses « dessins sur document ». L’ensemble forme un univers artistique dont se dégage une aura magique, une énergie mystérieuse qui réenchante le réel.
Dans le travail récent de Karine Rougier : des baisers et corps enlacés, des Vierges à l’enfant réinventées, des célébrations costumées, des rondes enflammées, des mains en train d’œuvrer. Autant de rituels de l’amour qui révèlent un lien charnel, une communion bienveillante, un flux reliant les êtres entre eux et avec la nature. Même dimension physique lorsque la dessinatrice s’abandonne à la peinture, avec ses huiles sur bois. Plongeant dans la matière, comme elle plonge dans la mer, s’inspirant du milieu sous-marin, l’artiste joue des textures, des strates, des dilutions, créant des fonds abstraits où réel et rêve, faune et flore, astres et pierres lévitent, suspendus au cœur du temps. Amérique du Sud, Afrique ou Asie : l’œuvre de Karine Rougier porte l’empreinte des voyages, des mythes et rites sacrés. De son travail émane une fragilité, une vibration imperceptible, tels ces dérisoires supports récupérés ou la finesse des minuscules détails. Mais s’en dégage aussi une force magique, une énergie mystérieuse qui réenchante le réel. Moins roman que poème, moins narration que musique, fait d’associations libres, d’images fragmentés, d’ellipses et d’apnées, l’art de Karine est un souffle qui fait vibrer les cordes de notre fond tribal et bat la mesure de la danse du vivant.
Amélie Adamo
Bill Poska
Karine Rougier