Arte Povera, pour une fois, renverser ses yeux
Pour la première fois, le Jeu de Paume et LE BAL présentent une exposition commune autour de l’utilisation des médias – photographie, film, vidéo – par les artistes italiens des années 1960 et du début des années 1970. Centrée autour du groupe de l’arte povera, l'exposition s’ouvre à divers compagnons de route du mouvement et au-delà, pour étudier la position des avant-gardes italiennes face à la photographie et à l’image en mouvement.
Cette exposition donnera à voir l’extraordinaire richesse d’une période où les artistes italiens se sont appropriés le pouvoir narratif de la photographie, de la vidéo et du film. Des tableaux miroirs de Michelangelo Pistoletto aux grandes photographies sur toile de Giulio Paolini ou de Giovanni Anselmo, des œuvres sur photocopie d’Alighiero Boetti aux photomatons de Franco Vaccari ou aux vidéos de performance réalisées par Luciano Giaccari, elle dressera un panorama des expérimentations visuelles des avant-gardes italiennes de la période dans le domaine de l’image.
En 1960, deux hélicoptères transportent une statue du Christ dans le ciel de Rome et survolent les nouveaux quartiers en construction, sans qu’aucune trace de guerre, de pauvreté ou de bidonvilles ne soit visible : la séquence qui ouvre La Dolce Vita de Federico Fellini confronte la modernité italienne du deuxième après-guerre à ses paradoxes et ses contradictions. L’époque du néoréalisme est finie, les gestes ont perdu leur veine dramatique et cherchent un nouvel élan. Ce sont les années qui voient émerger la génération d’artistes de cette exposition : une ivresse, une fièvre qui rompt avec l’art informel et permet l’émergence d’une nouvelle ère.
De nombreuses expositions ont célébré l’éblouissante effervescence artistique italienne des années 1960 et 1970. Loin d’y revenir, notre idée a été de circonscrire le champ de recherche afin d’interroger la position de l’avant-garde italienne au début des années 1960 face à la prolifération de nouveaux médias. Ce sujet s’est imposé tant il est difficile de trouver des pratiques intégrant les médias qui n’ont pas connu des anticipations ou des développements dans les recherches italiennes de cette période.
Le point de départ de notre survol est l’arte povera dans son acception large d’avant-garde radicale alternative à la proposition pop et à l’iconoclasme conceptuel : des artistes qui ont en commun une attitude dialectique, usant des médias comme instruments d’analyse, comme documents, comme icônes. On a souvent souligné la capacité de l’art italien de s’approprier tous types de matériaux. Il n’est donc pas étonnant, pour des artistes adeptes du court-circuit, que les médias aient été tour à tour filtre, matière ou support.
La photographie se fait tableau, document, reportage, sculpture, livre, album ; les vidéos et les films, allégorie, projection, installation – comme autant d’espaces conquis pour créer un nouveau champ d’interrogations, transformer la vie en métaphore d’une quête. L’art n’est plus affirmation mais prise de conscience : les médias sont des « objets » porteurs de mémoire, leur « corps » visuel et tactile conditionne la perception de la temporalité et des lieux communs de notre société. Les documents perdent leur simple fonction de témoin, ils sont désormais des reliques accomplissant ce passage « du document au monument » invoqué par Foucault à la fin des années 1960.
Giuliano Sergio, co-commissaire de l'exposition
« Le miroir nous pousse en avant, dans le futur des images à venir, et en même temps il nous repousse dans la direction où l’image photographique arrive c’est-à-dire dans le passé. » Michelangelo Pistoletto
L’exposition déploiera une réflexion articulée en quatre sections thématiques réparties sur les deux lieux : CORPS (LE BAL), EXPÉRIENCE, IMAGE, THÉÂTRE (Jeu de Paume).
La section autour du CORPS présentera la façon dont, à la suite de Piero Manzoni, le corps, photographié ou filmé, devient un des matériaux privilégiés des artistes de la période – et plus singulièrement le propre corps de l’artiste. Remettant la figure de l’artiste au cœur de la pratique artistique, ces travaux renouvellent indirectement le genre de l’autoportrait tout en interrogeant, paradoxalement, la notion même d’identité, voire en remettant en cause le rôle de l’auteur.
La section EXPÉRIENCE abordera la manière dont photographie et film sont utilisés comme des instruments d’investigation du temps, de la durée et de l’espace. Quittant leurs ateliers, nombre de ces artistes manifestent une même volonté d’enregistrer une action et de nouer un lien au monde et à la nature plus direct, à la fois exploratoire et expérimental.
La troisième section autour de l’IMAGE traitera de l’utilisation de la photographie et de l’image en mouvement dans une dimension critique : réflexion sur le monde des médias, déconstruction des pratiques artistiques traditionnelles, remise en cause de l’objectivité de la photographie.
Enfin, la section THÉÂTRE traitera de mise en scène : celle de l’art et de l’artiste qui anime les vues et films d’exposition de la période, comme celle, inhérente à la pratique du tableau vivant, qui parcourt nombre de travaux photographiques à partir du début des années 1970.
Au total, plus de 250 œuvres de 45 artistes seront réparties dans les deux lieux.
L’exposition donnera également lieu à l’édition d’un catalogue, coédité par le Jeu de Paume, LE BAL et l’Atelier EXB, reproduisant une grande partie des œuvres exposées et proposant plusieurs études d’historiens de l’art ainsi qu’une chronologie développée.
Jean-Pierre Simard, éditeur au couteaule 10/10/2022
Renverser ses yeux, Autour de l’arte povera, 1960 - 1975 Photographie, film, vidéo -) 11 octobre 2022 - 29 janvier 2023
LE BAL - 6, impasse de la Défense 75018 Paris
JEU DE PAUME - 1, place de la Concorde 75001 Paris