Gilb'r arrive après les jours défaites pour “On danse comme des fous”

Mine de rien, le premier album du grand manitou de Versatile arrive à la fin du confinement et marque la maturation d’une démarche artistique libérée des carcans, tout en balayant le spectre de l’électronica en version rêveuse et psyché. C’est “On danse comme des fous” et ça sort aujourd’hui. Entrevue de près… 

Avant que Christian Perrot ne monte Nirvanet, au mitan des années 90, premier site consacré à la techno, il fallait se brancher sur FG ou Nova pour en avoir des nouvelles synchro et la vivre dans les raves et les clubs. Sur FG, Patrick Rognant et Jean-Yves Leloup envoyaient le son, quand sur Nova la paire Loik Dury et Gilbert Cohen organisaient le son pour créer des rencontres inédites et des croisements franchement bizarres - à la première écoute - de ce qui pour eux était/faisait l’actualité et devait se jouer avec l’histoire du son. On était petit avec de grandes oreilles, mais eux inventaient le grand mix… 

En 2021, 25 ans après les débuts de son label, Gilb’R vit à Amsterdam après avoir monté le label avec I-Cube pour Chateau Flight, sorti des compiles qui trouent, signé Zombie Zombie et Acid Arab, avoir collaboré avec Ariel Kalma, créé le projet Alladin avec le regretté Nicolas Ker et même l’an passé organisé la rencontre pour Jours de grève de Emmanuelle Parrenin et Detlev Weinrich (à voir en live sur le site de Lafayette Anticipations ce jour à 21,45h). Et puis soudain, voici que débarque son premier album d’artiste qui bruisse étrangement. On lui a donc posé des questions sur le ressenti de On danse comme des fous?

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On danse comme des fous, c’est juste une anti-phrase ou bien … dans un moment où personne ne danse ensemble, c’est une gageure ?

Gilb’R : A chacun de voir le sens qu’il veut lui donner…

En as-tu ras le bol de faire danser les autres alors qu’on te connait autant pour tes sets que comme producteur ?

Gilb’R : Non pas du tout, j’adore toujours l’énergie du dj’ing. Mais celle de la production en est une autre, plus introspective. En fait je produis depuis longtemps avec d’autres, car j’aime l’échange qu’il peut y avoir dans un studio et les idées qui peuvent en résulter. Je l’ai fait beaucoup avec Chateau Flight et avec d’autres, et je vais continuer à le faire. Mais là, pour la première fois, j’avais envie d’un truc solo. Depuis mon déménagement à Amsterdam (6 ans), j’ai pu approfondir et travailler mon son. On danse comme des fous est le résultat de ces recherches solitaires…

Ou bien, est-ce le retour de ce que tu faisais avec Loïk sur Nova, un album de nuit, super radio friendly pour ouvrir les esprits en élargissant la palette sonore au plus large ?

Gilb’R : Ça je ne sais pas, ça fait quand même très longtemps, mais si l’album évoque cela, tant mieux. L’impact qu’a eu sur moi le Nova de cet époque est je crois indélébile.

Au niveau du son, comment tu es passé de Jours de Grève à On danse comme des fous ?

Gilb’R : Ce sont 2 projets très différents. Là ou Jours de grève s’est enregistré sur une semaine et où je devais aussi gérer la vibe en studio, On danse comme des fous s’est fait sur une période de 2 ans pendant laquelle j’ai fait beaucoup de morceaux, sans vraiment penser à un album.. Un matin, je me suis réveillé et la sélection des morceaux s’est imposée d’elle même dans, je l’espère, une harmonie dans l’écoute.

Tu nous a concocté un sacré mille-feuilles, ce faisant, je le sens vanille-pistache en couches superposées dont les goûts montent différemment suivant l’écoute et le moment. Que penses- tu de cette approche ?

Gilb’R : J’aime bien cette idée de perception différente selon le moment et selon son mood. En fait dans ce disque, je me suis totalement détaché de l’ordinateur en tant qu’instrument. Je pense qu’il a été un frein dans ma production pendant des années. Je me suis attaché à composer avec des instruments qui ont déjà une personnalité propre. Et j’enregistrais une passe ou je me concentrais sur cet instrument et tous les sons électroniques sont venus s’ajouter après. Ainsi, chaque piste avait sa propre couleur et son propre développement.. Je n’avais plus ensuite qu’à éditer et, c’est une technique très agréable, assez libre et qui amène parfois de bonnes surprises.

Tu décris Amsterdam entre Triangle Days qui sonne comme une déambulation dans le Red Light district en ambiance nocturne avec un flot de passants et Cafe del PJP qui serait son Cafe del Mar dans une ville ensoleillée, - et c’est exactement le genre de choses qu’on entend chez Rush Hour, pourquoi t’es-tu installé là-bas ?

Gilb’R : En effet, Triangle days tient son nom d’un triangle imaginaire (comme celui des Bermudes) entre feus Redlight radio, Redlight records, et Triangle studio (mon studio pendant 3 ans au dessus du magasin de disques). Quand tu rentrais dans cette zone, tout pouvait arriver, et tu pouvais facilement en ressortir bien plus tard, un peu échoué. L’énergie de cet endroit m’a beaucoup rappelé le Nova des débuts, avec plein de gens qui passaient, plein de musique qui s’échangeait, beaucoup de joints que se fumaient… Pour répondre à ta question, je suis tombé amoureux, et c’est ce qui m’a amené à Amsterdam..

Reaching, c’est ton cri du cœur drum’n’bass façon Bukem ou bien ?

Gilb’R : Je me suis moi même étonné à produire ce morceau. Il est presque sorti tout seul et ce fut le dernier track composé… En fait, à ce moment-là, je checkais pas mal les videos de Dj Krust (qui fait à présent du développement personnel) et je suppose que c’est cela qui m’a inspiré ce morceau..

Plant Life, c’est une déclaration d’amour au Stevie Wonder de Secret Life of Plants, ou bien ?

Gilb’R : Plus une ode à la nature. Je trouvais que ce morceau avait quelque chose d’organique, qui se développait au fur et à mesure du morceau… avec des excroissances et des branches..

Super Spreader avec I-Cube est finalement le titre le plus proche de ce que l’on connait de ton travail avec Chateau Flight

Gilb’R : C’est quelque part assez logique. J’aime le faux minimalisme de ce morceau. En fait je n’ai envoyé à Nicolas que l’arpège squelettique et il a ajouté ces pads qui n’appartiennent qu’à lui et que j’ai toujours adoré.. quelque chose de très aérien, simple, beau et mélancolique.

Я не хочу знать avec Cosmic Neman, c’est une certaine approche du psyché, façon Tranquility Bass, d’où vient cet amour du psychédélisme chez toi ?

Gilb’R : De la drogue je pense… Plus sérieusement, c’est un aspect qui m’a toujours attiré. J’ai commencé à m’intéresser à la musique par le jazz modal, qui a pour moi une profondeur psychédélique dans le sens ou ça va chercher dans les tréfonds de l’être une singularité… Est venu s’ajouter après, tout les sons électroniques et les possibilités qu’ils offraient - du krautrock à la techno.

On retrouve dans l’album toutes les constantes de ce que tu as produit entre ambient, house, jungle, psyché - il ne manque que le son arabo-tek d’Acid Arab pour être complet - mais il y a un son très particulier que tu accouche ici, une unité sonore globale - un vrai son Gilb’R - comment en es-tu arrivé là ?

Gilb’R : Beaucoup de doutes et beaucoup de travail… Je me suis réveillé un matin (beaucoup de choses m’arrivent la nuit, et c’est d’ailleurs le thème de mon travail actuel) en acceptant l’idée que ma musique ne pouvait pas plaire à tout le monde. Ça semble normal dit comme ça, mais pas tant que ça en fait, ça m’a pris du temps à l’accepter.
Et quand j’ai compris que le morceau que je faisais écouter à ma copine, ou mes enfants pouvait les laisser perplexes, et moi enthousiaste, quelque chose s’est décoincé et je n’arrêtais plus de produire..
Donc, il faut se faire confiance et ça m’a pris du temps pour en arriver là. Même si ce n’était pas une fin en soi car j’étais déjà très épanoui artistiquement entre mon travail de dj et mes collaborations..

L’impression que donne l’album est que tu as fait une synthèse de tout ce à quoi tu t’es frotté pour en sortir dix titres qui sont à la fois singuliers et organisés ensemble pour dire, à partir de sons connus, ton mix à toi, ton idée du son actuel. On tombe d’abord sur un monolithe (2001 avec nous!) et puis après l’impression d’ensemble forte et durable, chaque titre ressort - mais en gardant la sensation d’un son continu - moment et passage, en même temps que partie et tout. Comme disait Christophe, c’est du beau bizarre à l’impression durable qui envoie du neuf sous des dehors qui ne se révèlent pas de suite. J’adore la prod !

Gilb’R : Merci beaucoup, je suis content que tu ressentes ça. Quand tu passes du temps sur un disque,tu n’as plus recul - déjà que j’en avais pas beaucoup.
Mais en effet, ces titres se sont imposés les uns à côté des autres dans un ensemble, quoique chacun très différent.. J’ai beaucoup travaillé à arriver à un ensemble composite, si je puis dire…

Propos recueillis par Jean-Pierre Simard le 4/06/2021
Gilb’R - On danse comme des fous -
Versatile Records

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