Les Extatiques de Rita Fischer hésitent entre abstrait et figuratif
L’exposition Extatique de Rita Fischer rassemble, chez Xippas, des inédits réalisés par l’artiste pendant la période de confinement passée dans la campagne uruguayenne. Sous le commissariat de Manuel Neves, l’exposition présente des gouaches sur papier, ainsi qu’une série de tempéra sur panneaux de bois.
Cette série d’œuvres peut être comprise comme l’aboutissement d’un cycle de plus de dix ans d’explorations et d’expérimentations esthétiques-formelles et leurs éventuels signifiants narratifs. Ce moment créatif commence fin 2008, se déroule pendant le long séjour de l’artiste de plus de dix années à Paris et Berlin, et donne ses premiers fruits dans l’exposition Deriva, à la Galerie Jeune Création à Paris en juin 2009. Dans ce projet, l’artiste a abandonné l’utilisation de l’image photographique comme modèle, qui définissait la visualité de ses œuvres et en même temps la reliait d’une manière ou d’une autre à la réalité, pour aborder l’expérimentation dans un espace de représentation incertain, s’orientant vers l’abstraction, c’est-à-dire vers l’ambiguïté et l’énigmatique, au sens le plus basique de ce mot. De même, bien que le figuratif et l’abstrait ne puissent être clairement distingués, une relation subtile avec le paysage et la nature a été mise en évidence.
Dans cette nouvelle série d’œuvres, l’artiste aborde la technique traditionnelle de la tempéra à l’œuf sur des panneaux en bois. Dans cette technique, les pigments sont dissous dans du jaune d’œuf, qui fonctionne comme un liant idéal, à la teneur en graisse et en eau équilibrée. Bien que la tempéra soit associée au monde byzantin, au Moyen Âge ou à la Renaissance, elle était, avec l’encaustique, en réalité utilisée depuis l’Antiquité dans l’art égyptien.
La rigidité du bois et le manque de brillance que procure cette technique, projettent une sensation de stabilité et de solidité. En même temps, le mot tempéra évoque un sens de la mesure et de l’équilibre, car à son origine il dérive de l’expression italienne pittura a tempera, qui à son tour provient du mot latin tempera, qui signifie mescolare nelle giuste proportzioni, c’est-à-dire mélanger dans les proportions correctes et appropriées.
Par rapport à ses œuvres précédentes, la palette manipulée par Rita Fischer augmente sa variété tonale et sa complexité chromatique et est utilisée pour représenter des éléments de la nature : plantes, branches, feuilles ou écorce d’arbres. Ces détails figuratifs pourraient être associés à une approche renouvelée de la tradition paysagère, même si dans ces œuvres, l’horizon et la perspective, éléments fondamentaux qui définissent ce genre, ne sont pas présents.
Ainsi l’artiste approfondit ses recherches avec la représentation de la nature, établissant un lien possible avec une certaine typologie végétale autochtone qui peut être reconnue dans la palette de couleurs choisie — brun, vert, orange ou terre cuite -, et en même temps par certains éléments figuratifs, comme les épines. On pourra y percevoir les formes et l’apparence générale des montes de espinillos (des bois denses d’épineux) qui composent les forêts indigènes de la campagne uruguayenne et qui se caractérisent également par leur extrême densité, leurs fermetures et leurs ombrages.
Mais ces représentations ou signes, loin d’une recherche réaliste, ne consomment pas une représentation complète de ces bosquets et la sensation de symbiose que l’on peut ressentir face à la nature ne semble pas s’accomplir. Au contraire, ces signes sont reliés et complétés par des éléments purement abstraits, tels que les grandes tâches et les plans de couleur qui occupent une place importante dans ces œuvres.
L’image construite par l’artiste, d’une ambiguïté sémantique forte, génère un climat d’incertitude, de perplexité et de désir. Malgré tout, lorsque nous nous arrêtons et posons le regard sur ces scénographies hermétiques et instables, habitées par des conflits et des tensions, lentement une sensation commence à nous envahir : la sensation d’être témoins d’une épiphanie, qui révèle une beauté singulière.
Rita Fischer est habitée par l’idée que l’artiste génère des situations qu’il ignore, et donc les images qu’elle construit sont le désir et en même temps le déni d’une présence ; la production d’un événement en latence permanente, et dans un temps suspendu.
Manuel Neves le 25/06/2021
Rita Fischer - Extatiques ->31/07/2021
Galerie Xippas 108, rue Vieille du Temple 75003 Paris