Dessine-moi un silence ou les errances numériques d'Azu Tiwaline
Depuis sa découverte 90’s de la techno et sa fixette sur Christian Vogel, Azu Tilawine a pas mal bourlingué autant physiquement que numériquement; ses propres productions et sets live passant sans encombre par la hard techno, le dubstep, le UK garage, le hip-hop, l'IDM et, souvent, par des fusions de plusieurs de ces styles. Et ainsi, on en arrive à Draw Me A Silence…
En 2017, Donia a déménagé dans la région d'el-Djerid, dans le sud-ouest de la Tunisie, pour s'occuper d'un petit terrain que lui a laissé sa défunte mère, et le paysage semble avoir fait quelque chose à sa musique. Une palette menaçante de synthés déchiquetés et de tambours concaves avait relié ses précédents changements de style, mais comme Azu Tiwaline-Berber pour "Eyes of the Wind" - ces bords durs ont fondu. Son premier album sous ce pseudonyme s'inspire de son héritage berbère et de l'étendue du désert, où les palmiers dattiers sont quinze fois plus nombreux que les humains.
Comme pour Loan, c'est une palette unique qui réunit Draw Me a Silence, plutôt qu'un style musical unique. Le disque ne contient pratiquement que des percussions ; presque tout ce que joue Donia évoque des objets frappés ou secoués. Elle puise dans un puits profond d'échantillons, d'enregistrements faits maison et de tambours synthétiques : claquements de cuir et bangs de timbales, cloches tintantes et brosses bruissantes, coups de tonnerre et tonnelles. Les grillons et les bruits du village offrent un sens aigu du lieu, et les mélodies sont rares. Au lieu de cela, elle utilise le délai dub pour remplir les espaces béants entre tous ces éléments : Des lignes de feedback résonnant s'étendent, scintillantes, comme des sillons irriguant l'environnement aride.
Quelques chansons incorporent des rythmes, des gammes et des instruments traditionnels d'Afrique du Nord. Les éclaboussures métalliques du qraqeb en fer (également connu en Tunisie sous le nom merveilleusement onomatopéique de chkachek ou shqashiq) animent "Berbeka", et une mélodie lugubre, semblable à celle d'un roseau, confère à "Izen Zaren" un froid d'avant l'aube. Mais Draw Me a Silence est tout aussi profondément ancré dans la bass music britannique contemporaine. "Until the End" ouvre l'album avec un kick 4/4 qui rappelle Andy Stott ; l'influence de Shackleton se fait entendre tout au long de l'album ; et les textures résonnantes et les rythmes syncopés de "Luz Azul" rappellent des artistes comme Parris et Batu (il est logique que l'EP Magnetic Service d'Azu Tiwaline soit paru l'année dernière sur Livity Sound, un label de Bristol dont la cinétique obscure a contribué au développement de ces deux musiciens). Comme eux, Donia est motivée par les aspects méditatifs du poids de la basse, et elle utilise des tempos ralentis et des rythmes dembow pour mettre en valeur la profondeur de ses tambours. Les signifiants berbères rendent sa musique unique ; ce qui la rend fascinante, c'est son exploration d'un espace où la musique du corps et la musique de la tête ne font qu'un.
Draw Me a Silence est initialement paru l'année dernière sous la forme de deux EP successifs, mais une nouvelle version étendue de l'album ajoute un nouveau morceau de clôture, "Eyes of the Wind", qui offre une nouvelle perspective. Alors que les 11 autres chansons mettent l'accent sur les percussions, "Eyes of the Wind" est essentiellement ambiant, avec un bref passage de langoureux tambourinage à la main dans une étendue chatoyante de drone et de bleep. Si le morceau de clôture de l'album, "Izen Zaren", faisait office de dénouement, le spacieux "Eyes of the Wind" offre un passage vers un autre monde. Il a peut-être fallu que Donia déménage dans le désert pour assimiler la maxime des Slits, "Le silence est aussi un rythme". Malgré toutes ses textures terreuses, l'album est finalement guidé par les mouvements de l'air du désert et l'étendue des cieux. On dira : pour une nouvelle respiration. Respirons ensemble, hein …
John Medic
Azu Tiwaline – Draw Me a Silence [Extended Version] - IOT Records